28-29 novembre : les syndicats de base occupent les rues de Gênes et Rome. Un mouvement est né…

par | 30 Nov. 2025 | International, Italie, Lutte des classes, Luttes sociales, Palestine

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Nous avons traduit et repris le premier article à chaud, paru au lendemain de la manifestation de Gênes, de ce 28 novembre, à la veille de celle, plus massive, de Rome, organisée par les syndicats de base, contre le budget d’austérité du gouvernement Meloni et en soutien au peuple palestinien. Elles ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes, cent mille en tout selon les organisateurs.

Depuis le quai du port de Gênes, le vendredi du mouvement de grève proclamé par les syndicats de base, Francesca Albanese fait remonter à la surface une pensée qui était restée en suspens : « Cette mobilisation me rappelle, à certains égards, le mouvement No Global qui, ici même en 2001, a reçu un coup mortel. C’est quelque chose de fluide, de magnifique. Je suis heureuse de cette coïncidence symbolique et d’avoir choisi cette ville pour être aux côtés des travailleurs. »

Pour la mobilisation qui est née et s’est amplifiée contre les atrocités d’Israël en Palestine, c’est un moment décisif : soit elle évolue pour continuer à croître, soit elle est destinée à se faner comme tant d’autres avant elle. Les cortèges des deux derniers jours ont indiqué une direction claire, déjà élaborée lors des assemblées de ces dernières semaines : Gaza est une blessure ouverte, car Israël continue de tuer, et cette violence a la même racine que les autres injustices mondiales ; les luttes pour le travail, pour l’environnement, contre les inégalités et le réarmement doivent être menées toutes ensemble.

Les manifestations de Gênes (vendredi) et de Rome (hier) ont montré un corps vivant et une constitution robuste : convoquées par l’USB sans les syndicats confédéraux, ignorées par les partis et par les médias traditionnels, elles ont tout de même rassemblé des dizaines de milliers de personnes. Elles étaient au moins cinq mille en Ligurie et plus de 30 000 dans le long cortège romain d’hier après-midi, de Porta San Paolo à Piazza San Giovanni. Une protestation radicale, calme et nombreuse, bien au-delà du bassin habituel de mobilisation des syndicats de base, et pourtant, les sites ont privilégié la nouvelle du vandalisme lâche subi par la rédaction de La Stampa, à Turin, de la part d’un groupe d’autonomes.

À Gênes, les leaders de la protestation s’étaient réunis jeudi soir, à la veille des deux jours de mobilisation, lorsque la ville de la Lanterna s’est découverte capitale provisoire d’un mouvement aux ambitions et à la portée mondiales. Les personnes à la tête de la manifestation, outre Albanese, sont Greta Thunberg et Thiago Avila, l’un des responsables de la Global Sumud Flotilla. Ils dînent ensemble, avec d’autres protagonistes des mouvements, comme l’ancien ministre grec Yanis Varoufakis, et discutent d’un projet qui devra être développé dans les prochains mois.

Le lendemain matin, ensemble, ils mènent le cortège qui a traversé le centre-ville. Greta semble vraiment petite, vue de loin : un petit bout de femme qui paraît plus jeune que ses 22 ans, timide et mal à l’aise dans la foule du cortège et face à l’attention des journalistes. Mais lorsqu’elle parle, sa voix dégage une force qui l’a transformée en symbole générationnel : « Le génocide des Palestiniens continue. Je répète : le génocide continue ».

Et ce n’est pas « un phénomène isolé », affirme Thunberg, « mais le produit d’un système capitaliste qui vit de profits et prospère sur les injustices. Nous sommes ici pour promouvoir la solidarité entre les causes ». C’est ainsi que la question palestinienne se relie aux raisons de la grève, « contre le budget de guerre » du gouvernement Meloni. Greta conclut par un appel : « Ne tombons pas dans le piège de l’apathie ».

À ses côtés se trouve José Nivoi. Il est le porte-parole du Calp, le syndicat autonome des travailleurs portuaires, devenu un référent mondial pour ses actions politiques contre le trafic d’armes dans les ports civils. « Je suis ici à Gênes », a déclaré Thunberg, « parce que les luttes des dockers, quand j’étais sur la Flotille, m’ont profondément émue ».

José et les autres hommes qui gèrent avec énergie le cordon du cortège génois ont croisé les bras à plusieurs reprises ces dernières années pour bloquer le débarquement de cargaisons à destination d’Israël, de l’Arabie Saoudite, du Yémen et de la Syrie. Nivoi a 39 ans, un style rude avec les journalistes, des paroles radicales lorsqu’il prend le mégaphone, mais il tient Greta sous le bras avec une douceur paternelle, comme s’il protégeait un bien fragile.

Il ne cherche pas à polémiquer avec la CGIL, mais il est clair que le rôle prépondérant de l’USB dans les manifestations a contribué à combler un déséquilibre historique par rapport aux syndicats confédéraux : « Pour l’unité syndicale, il manque la volonté », dit-il, « mais pas de notre côté ».

À mi-parcours du trajet génois — fréquenté surtout par des étudiant·es et des travailleur·euses, mais aussi par des individus et des familles apparemment éloignés du monde de la gauche anticapitaliste — Albanese, Avila, José et Greta se détachent de la foule, pour réapparaître plus tard sur un voilier qui pénètre dans le port de Gênes. Il y a trois embarcations, une mini-Flotille qui clôt la manifestation avec des chants, des fumigènes et une banderole : « D’une rive à l’autre, Palestine libre ». Un groupe d’activistes monte sur le Nazario Sauro, le sous-marin désaffecté en 2002 et amarré là, pour afficher un autre message : « No port for genocide » [ce port ne peut pas servir au génocide].

À la fin de la manifestation, Avila, Greta et Albanese (toujours accompagnée de sa fille) se rendent à Rome dans un minibus syndical. Avant le cortège romain, événement central du 29 novembre, journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, une assemblée est prévue à la faculté de droit de Roma Tre. L’amphithéâtre, sur deux niveaux, est bondé.

Autour de la conférencière de l’ONU, parmi les présent·es, se dégagent une affection et un enthousiasme inversement proportionnels à la posture des journalistes à son égard. Dans les articles qui lui sont consacrés, presque tous les journaux ne rapporteront pas son discours, si ce n’est pour mentionner ses mots malencontreux en commentant le vandalisme subi par La Stampa (condamnation de la violence accompagnée d’« un avertissement » à ceux qui font de l’information). À Albanese, en revanche, la salle réserve une longue ovation debout.

« La solidarité ne concerne pas seulement la Palestine, mais toutes les victimes des guerres. La culture du réarmement nous appauvrit : nous avons besoin d’argent pour l’économie, pour les travailleur·euses, pour l’école, pour la santé. Posons les bases d’un ordre mondial plus juste. L’effet papillon existe. Seuls, nous sommes fragiles comme des ailes de papillon, mais, si nous les battons tous ensemble, nous devenons une tempête. »

Avec Avila se trouve également Maria Elena Delia, figure italienne de la Flotille. L’activiste brésilien insiste sur le fait qu’il s’agit d’une expérience loin d’être terminée : « It is not about boats—dit-il—but about changing the world » (ce n’est pas une affaire de bateaux, nous voulons changer le monde).

Si ce mouvement se transforme réellement en un phénomène mondial, ce sera en naviguant férocement à contre-courant : défiant les médias traditionnels, le pouvoir économique, l’industrie militaire, l’incapacité de compréhension et la passivité des partis. Sa force, seul le temps la révélera.

*Article paru dans Il Fatto Quotidiano du 30 novembre 2025, traduit de l’italien par nos soins.

Tommaso Rodano est journaliste.

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