L’administration Trump a pris d’assaut l’ordre national et international existant. Tous les dégâts qu’elle a causés peuvent sembler n’être qu’une opération cynique de destruction et de pillage menée par Donald Trump et son capitalisme lumpen. C’est le cas, mais ce n’est pas tout.
Le fondement rationnel du projet de Trump est exposé par la Heritage Foundation dans ses rapports intitulés Mandate for leadership et The Prioritization Imperative: A Strategy to Defend America’s Interests in a More Dangerous World. Ces documents lui ont fourni un plan d’action pour mettre en œuvre une stratégie nationaliste autoritaire visant à réaffirmer la domination des États-Unis sur le capitalisme mondial.
Trump abandonne le projet post-guerre froide de Washington visant à superviser un ordre néolibéral de mondialisation du libre-échange. Au lieu de cela, il tente d’atteindre son objectif maintes fois répété de « rendre à l’Amérique sa grandeur » en mettant « l’Amérique à la première place » face à ses amis comme à ses ennemis. Il dévalorise ou abandonne les institutions multilatérales, impose des droits de douane à de nombreux pays et menace d’annexer le Groenland, le Panama et même le Canada.
Bien que beaucoup plus cohérente que Trump 1.0, l’administration Trump 2.0 reste déchirée par des conflits, dont le meilleur exemple est la rupture apocalyptique de la mauvaise amitié entre le président et Elon Musk au sujet du projet de loi dit « Big Beautiful Bill ». C’est l’une des nombreuses divisions, notamment la bataille de Trump avec la Federalist Society, qui a contribué à remplir les tribunaux de juges favorables, au sujet du soutien de celle-ci à la décision de la Court of International Trade lui déniant la compétence d’imposer des droits de douane. Une autre fracture importante est celle qui oppose Trump à sa base MAGA au sujet de la divulgation de la liste des clients de Jeffrey Epstein, avec lesquels il se livrait à la traite de femmes et des jeunes filles.
En dépit de tout le chaos, la confusion et les luttes de fractions, l’administration Trump est unie autour d’un projet fondamental : l’escalade de la rivalité impériale entre Washington et Pékin.
Le mandat pour le leadership [série de programmes politiques publiés par la fondation conservatrice Heritage Foundation] identifie la Chine comme « un ennemi totalitaire des États-Unis, et non comme un partenaire stratégique ou un concurrent loyal ». L’administration tente de se dégager des guerres en Ukraine et à Gaza, d’obliger ses alliés à assumer la responsabilité de leur propre sécurité et, ce faisant, de se délier les mains pour donner la priorité à sa rivalité avec Pékin.
En réponse, la Chine a clairement affiché sa détermination à affronter les États-Unis, que ce soit dans la guerre commerciale ou en termes de menaces géopolitiques et de renforcement militaire en Asie. Face à une telle réaction de Pékin, Trump a renoncé à ses mesures les plus extrêmes, assouplissant, par exemple, les restrictions sur les exportations de puces informatiques Nvidia et réduisant les droits de douane sans précédent qu’il avait initialement imposés.
Mais la concurrence croissante entre les deux puissances va entrer en conflit avec ces mesures temporaires. Alors que leur rivalité interimpérialiste risque de s’envenimer, la gauche doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour renforcer la solidarité internationale afin d’empêcher que ce conflit ne déclenche une guerre catastrophique entre les puissances nucléaires.
Les racines capitalistes de la rivalité impériale
Pour être clair, cette rivalité n’est pas le résultat des politiques des administrations Trump ou Biden, ni de celles du régime de Xi Jinping en Chine. Elle est le produit des lois du capitalisme, à savoir le développement inégal et combiné, les crises et la concurrence entre les États pour le partage et le repartage du marché mondial au profit de leurs entreprises.
Cette concurrence économique pousse les États vers la rivalité géopolitique et la guerre. Le résultat de ces conflits crée une hiérarchie dynamique des États, avec les puissances impérialistes au sommet, les puissances régionales au milieu et les nations et les peuples opprimés au bas de l’échelle. Tous ces États capitalistes sont déchirés par des divisions sociales et de classe internes.
Aucun ordre étatique n’est permanent. Les périodes d’expansion, de récession, de rivalités, de guerres et de luttes internes perturbent et bouleversent le système étatique, avec le déclin des puissances établies et l’émergence de puissances nouvelles. Nous avons assisté à une succession d’ordres impérialistes au cours du siècle dernier : la période coloniale multipolaire, du XIXe siècle jusqu’aux deux guerres mondiales, la guerre froide bipolaire et l’hégémonie sans égale de Washington après l’effondrement de l’Union soviétique.
Les États-Unis espéraient maintenir cet ordre unipolaire en intégrant tous les États dans leur mondialisation du libre-échange « fondée sur des règles ». Ils ont tenté de bloquer l’émergence de tout concurrent potentiel, de démanteler tout « État voyou », comme l’Irak, et de contrôler les États déstabilisés par les politiques néolibérales et leurs interventions, comme Haïti.
Le déclin relatif de l’impérialisme américain
Quatre événements ont conduit au déclin relatif des États-Unis et à la fin de l’ordre unipolaire. Tout d’abord, le boom néolibéral, du début des années 1980 jusqu’à la grande récession de 2008, a conduit à l’émergence de nouveaux centres d’accumulation du capital, notamment la Chine, mais aussi la Russie, le Brésil, l’Arabie saoudite et bien d’autres.
Deuxièmement, la tentative de Washington de consolider son hégémonie sur le Moyen-Orient et ses réserves énergétiques par le biais de ses guerres en Afghanistan et en Irak s’est soldée par un échec désastreux, contraignant les États-Unis à se livrer à des occupations brutales et à des opérations anti-insurrectionnelles. L’enlisement de Washington a permis à la Chine, à la Russie et à diverses puissances régionales de prendre de plus en plus d’importance dans le système étatique.
Troisièmement, la Grande Récession a mis fin à l’essor néolibéral, entraînant un ralentissement mondial marqué par une alternance de récessions et de reprises timides. La croissance atone et la baisse des taux de profit ont poussé les États à protéger leurs propres entreprises, ralentissant le commerce mondial et exacerbant les rivalités géopolitiques.
Enfin, la pandémie, la perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales et la récession qui l’a accompagnée ont mis en évidence le déclin relatif de Washington, ainsi que sa dépendance vis-à-vis de la Chine. Ensemble, ces développements ont inauguré l’ordre multipolaire asymétrique actuel.
Les États-Unis restent au sommet du système avec la plus grande économie et la plus forte puissance militaire, ainsi qu’une influence géopolitique sans pareille, mais ils sont désormais confrontés à des rivaux impérialistes, notamment la Chine, mais aussi la Russie. À ceux-ci s’ajoutent une multitude de puissances régionales qui se disputent des positions entre les grandes puissances au détriment des nations et des peuples opprimés.
Aucune des puissances impérialistes n’étant en mesure de surmonter la crise mondiale, les élites dirigeantes de chacune d’elles se sont tournées vers l’austérité et la répression autoritaire de toute résistance dans leur propre pays, ainsi que vers des politiques de dumping et de protectionnisme à l’étranger.
Dans ce nouvel ordre, la rivalité principale oppose les États-Unis et la Chine. Ces deux pays ont été des partenaires stratégiques, dont les économies étaient de plus en plus intégrées à l’apogée de la mondialisation néolibérale, sous l’administration Clinton. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Aujourd’hui, la Chine est le plus grand producteur capitaliste au monde. Elle exerce une influence géopolitique croissante et a la capacité d’imposer sa volonté grâce à la deuxième plus puissante armée au monde. Washington considère désormais la Chine comme un concurrent potentiel, qu’il doit contenir. Par conséquent, les deux puissances sont en désaccord sur tout, de l’économie à la géopolitique en passant par l’expansion militaire, en particulier dans la région Asie-Pacifique.
Le nouveau consensus de Washington
Dans cet ordre mondial multipolaire asymétrique, les administrations américaines successives ont abandonné l’ancienne stratégie visant à superviser le capitalisme mondial pour adopter le nouveau consensus de Washington, qui prévoit un conflit de grandes puissances avec la Chine. Jusqu’à la dernière décennie, les États-Unis avaient poursuivi une stratégie de liaison conflictuelle avec Pékin, combinant endiguement et engagement. Le pivot vers l’Asie de l’administration Obama a représenté son chant du cygne.
La première administration Trump a résolument réorienté la grande stratégie américaine vers une rivalité avec la Chine et la Russie. Elle visait à réduire l’importance des alliances multilatérales au profit d’une affirmation unilatérale de la puissance américaine en interdisant les exportations de hautes technologies vers la Chine, en imposant des droits de douane pour réindustrialiser les États-Unis, en augmentant le budget militaire américain et en réorientant les forces armées américaines vers l’Asie.
Cependant, les revirements erratiques de Trump, les profondes divisions internes de son administration et l’opposition de la bureaucratie d’État ont entravé la mise en œuvre de cette nouvelle approche. En fin de compte, il a accéléré le déclin relatif de Washington et, selon les termes de deux responsables de l’administration Obama, il a réussi à « enhardir la Chine, à affecter l’Europe et à laisser tous les alliés et ennemis des États-Unis s’interroger sur la durabilité de nos engagements et la crédibilité de nos menaces ».
L’administration Biden a conservé l’accent mis par Trump sur la rivalité entre les grandes puissances que sont la Chine et la Russie, mais elle a remplacé l’approche « America First » de son prédécesseur par un multilatéralisme musclé. Elle visait à relancer le capitalisme américain en mettant en œuvre une nouvelle politique industrielle dans le domaine des hautes technologies. Ainsi, a-t-elle maintenu le régime tarifaire de Trump avec des barrières élevées autour d’un petit périmètre de technologies stratégiques pour bloquer les progrès de la Chine, en particulier dans le secteur des micro-processeurs de dernière génération. En même temps, elle reconstruisait et élargissait les alliances internationales de Washington pour les retourner contre Pékin et Moscou.
Après le retrait chaotique des États-Unis d’Afghanistan, l’administration Biden a exploité l’invasion impérialiste de l’Ukraine par la Russie pour rassembler ses alliés, non seulement contre Moscou, mais aussi contre Pékin. Elle a convaincu l’OTAN de déclarer la Chine comme un défi mondial en matière de sécurité.
En même temps, Biden a fondamentalement sapé les prétentions moralisatrices des États-Unis à défendre un soi-disant ordre international fondé sur des règles en soutenant la guerre génocidaire menée par Israël contre Gaza. Cela a permis à la Chine et à la Russie de dénoncer l’hypocrisie de Washington et de rallier d’autres États autour d’eux sous la bannière de la « multipolarité ».
Pour autant, personne ne doit se faire la moindre illusion sur le fait que Pékin ou Moscou soient des alliés de la libération palestinienne. Dans le cas de la Chine, malgré son opposition rhétorique au génocide israélien, elle est le deuxième partenaire commercial d’Israël ; son groupe portuaire public Shanghai International Port Group a construit et exploite le port de Haïfa, d’une valeur de 1,7 milliard de dollars ; une autre de ses entreprises construit le réseau de tramway de Tel-Aviv; enfin, Hikvision vend des technologies de surveillance à Israël pour contrôler les Palestiniens en Cisjordanie.
Xi rend à la Chine sa grandeur
Face à la nouvelle stratégie de grande puissance mise en place par Washington pour contenir la montée en force de la Chine, Pékin n’avait d’autre choix que de riposter par des contre-mesures agressives. Xi Jinping a rompu avec la politique étrangère prudente de ses prédécesseurs, promettant de mener à bien un « renouveau national » afin de réaliser le « rêve chinois ».
Mais Xi doit faire face à d’innombrables défis. L’économie chinoise a ralenti, passant d’une croissance annuelle d’environ 10 %, dans les années 2000, à environ 5 % aujourd’hui. Elle est en proie à la surproduction, à l’éclatement de la bulle immobilière, à un endettement massif, à une corruption endémique, au vieillissement de sa population et à une réduction de sa main-d’œuvre qui n’empêche pas un chômage élevé parmi les jeunes. Le régime chinois a également été confronté à des vagues de luttes sociales et de classe : grèves et manifestations de masse des années 2000 ; soulèvement démocratique de Hong Kong ; résistance ouïghoure ; actions syndicales insurrectionnelles ; marches massives contre les confinements brutaux « zéro Covid ».
Pour maintenir son pouvoir face à ses rivaux bureaucratiques et à la résistance populaire, Xi s’est tourné vers une répression autoritaire. Il a purgé les bureaucrates dissidents et corrompus, interdit les ONG syndicales, mené un génocide culturel et procédé à l’incarcération massive des Ouïghours au Xinjiang, écrasé le mouvement démocratique à Hong Kong, et intensifié l’oppression des femmes et des personnes LGBTQ dans le cadre d’une campagne nataliste menée par le régime pour reconstituer sa main-d’œuvre.
Xi a associé cette répression à de nouveaux investissements massifs dans l’économie avec deux objectifs en tête : renforcer le soutien intérieur en promettant une vie meilleure et repousser les tentatives de Washington de bloquer la croissance de la Chine. Le régime a mis en place un plan de relance colossal afin de soutenir l’économie après la Grande Récession et dans un contexte de ralentissement mondial.
En 2015, Xi a inauguré Made in China 2025, une politique industrielle financée par l’État visant à développer les entreprises de haute technologie du pays, à garantir leur autosuffisance et à les positionner de manière à surpasser leurs rivaux internationaux. À tous égards, cette initiative a été un succès retentissant. La Chine compte désormais des entreprises de conception et de fabrication de puces de classe mondiale, telles que HiSilicon et SMIC, le plus grand constructeur mondial de véhicules électriques, BYD, le premier fabricant mondial de batteries, CATL, le principal fabricant de panneaux solaires, JinkoSolar, des innovateurs pionniers en matière d’IA comme DeepSeek, des fabricants de robots qui ont automatisé le travail en usine à un rythme plus élevé qu’en Europe et aux États-Unis, et un quasi-monopole sur les usines de traitement des terres rares et les fabricants d’aimants qui approvisionnent l’industrie high-tech mondiale.
La Chine a non seulement commencé à rattraper son retard, mais dans certains cas, elle a même dépassé les industries de haute technologie américaines. Comme l’affirment deux économistes influents.
« Selon l’Australian Strategic Policy Institute, un groupe de réflexion indépendant, financé par le ministère australien de la Défense, les États-Unis devançaient la Chine dans 60 des 64 technologies de pointe, telles que l’intelligence artificielle et la cryptographie, entre 2003 et 2007, tandis que la Chine ne devançait les États-Unis que dans trois domaines. Dans le dernier rapport, couvrant la période 2019-2023, le classement s’est inversé. La Chine devançait les États-Unis dans 57 des 64 technologies clés, tandis que ces derniers ne conservaient leur suprématie que dans 7 domaines. »
En réalité, les interdictions de Washington sur les exportations technologiques vers la Chine ont eu l’effet inverse de celui escompté, poussant les entreprises chinoises à développer leurs propres capacités, qui rivalisent désormais avec celles de leurs concurrents du monde capitaliste avancé, voire les surpassent dans certains cas. Cela a conduit le PDG de Nvidia, Jensen Huang, à déclarer que les interdictions technologiques de Washington à l’égard de la Chine étaient un « échec » qui « ne faisait que renforcer les concurrents étrangers » et « affaiblir la position des États-Unis ».
Concurrence pour les marchés
Toutes ces mesures de relance gouvernementales n’ont pas sauvé la Chine du ralentissement mondial du capitalisme. Elles ont plutôt provoqué une crise de surinvestissement, une concurrence acharnée entre les entreprises capitalistes publiques et privées, une baisse de la rentabilité, une déflation et une surcapacité.
Cela a amené à leur tour les capitaux à se diriger vers des investissements spéculatifs dans l’immobilier, créant une bulle gigantesque qui a éclaté avec l’effondrement de la plus grande société immobilière au monde, Evergrande. Cela a aussi exacerbé la crise de la dette du pays, miné la fortune immobilière de la classe moyenne et sapé la demande des consommateurs.
Même après avoir partiellement stabilisé cette crise, la Chine n’a pas résolu son problème de surproduction. En fait, le régime l’a exacerbé avec un nouveau plan de relance visant à sortir son économie de la récession liée à la pandémie. En conséquence, la Chine produit plus de tout – du béton à l’acier, en passant par les panneaux solaires et les véhicules électriques – qu’elle ne peut vendre sur le marché intérieur avec des profits suffisamment élevés.
La classe dirigeante chinoise espérait que son initiative « Belt and Road » (BRI), lancée en 2013, aiderait la Chine à exporter sa capacité industrielle excédentaire. La BRI était prévue comme un projet de développement d’infrastructures d’un trillion de dollars, visant à construire des routes, des réseaux ferroviaires et des ports, principalement dans les pays du Sud.
Les États participants ont contracté des emprunts auprès de banques chinoises pour financer la construction, faisant ainsi de la Chine le plus grand créancier au monde. Et, selon un schéma impérialiste classique, les systèmes de transport construits dans le cadre de la BRI sont le plus souvent conçus pour acheminer les matières premières issues des industries extractives des pays en développement vers la Chine pour alimenter son industrie.
La Chine a également augmenté ses exportations, déclenchant des réactions protectionnistes de la part des États capitalistes, non seulement des États-Unis, mais aussi de l’Union européenne et de divers États du Sud. Tous ont commencé à se plaindre du fait que la Chine déverse ses excédents sur leurs marchés et sape leurs entreprises moins compétitives.
La frénésie des exportations a eu un impact négatif sur les alliés présumés de Pékin. Elle a par exemple exacerbé la désindustrialisation du Brésil, réduisant de plus en plus son économie à l’exportation de matières premières et de produits agricoles vers la Chine, un piège classique de dépendance.
La diversification des marchés d’exportation de Pékin vise également à protéger son économie contre les droits de douane et les interdictions croissants imposés par Washington. Dans le cadre de cet effort, elle a réduit ses avoirs en bons du Trésor américain et a multiplié les échanges commerciaux avec d’autres pays comme la Russie dans sa propre monnaie.
Mais la Chine ne peut en aucun cas remplacer entièrement le marché américain. Ainsi, pour échapper aux droits de douane des États-Unis, elle a délocalisé des usines dans des pays comme le Vietnam et le Mexique afin de les utiliser comme plateformes de transformation de ses exportations.
Dans le même temps, le régime a pris conscience de la nécessité de développer son propre marché intérieur. Pour atteindre cet objectif, il a lancé sa stratégie de double circulation, qui consiste à investir dans des entreprises publiques produisant pour le marché intérieur tout en maintenant une économie parallèle orientée vers l’exportation.
Dans le cadre de cette stratégie, Xi a promis à plusieurs reprises de stimuler la demande intérieure en augmentant les revenus des travailleurs, en renforçant le filet de sécurité minimal de l’État et en stabilisant le marché immobilier. Mais de telles propositions en faveur d’une « prospérité commune » sont restées lettre morte par le passé.
Pourquoi ? Parce que la croissance économique de la Chine repose entièrement sur l’exploitation d’une main-d’œuvre migrante bon marché. Elle s’abstient donc d’augmenter les salaires de ces travailleurs et ses dépenses sociales. C’est pourquoi Xi a déclaré son opposition à « l’égalitarisme » et au « welfare » qui récompensent « les paresseux ». Par conséquent, la Chine reste dépendante de son économie d’exportation.
Forger des alliances dans un monde multipolaire
Afin de maintenir et d’étendre son accès au marché mondial, la Chine a conclu des pactes politiques multilatéraux et bilatéraux. Elle a créé l’Organisation de coopération de Shanghai, qui rassemble des États d’Eurasie et du Moyen-Orient, notamment la Chine et la Russie, dans le cadre d’une alliance économique, politique et sécuritaire.
Plus important encore, la Chine a mis en place l’alliance des BRICS, composée du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud, ainsi que d’une liste croissante d’autres pays, dans laquelle Pékin est de loin l’acteur dominant. La Chine a utilisé cette alliance pour faire avancer des initiatives politiques et économiques, notamment la Nouvelle banque de développement et la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, pour établir des relations économiques avec les pays du Sud et tenter de les conduire à une remise en cause de l’ordre unipolaire de Washington et au soutien à un ordre multipolaire.
La Chine a renforcé son alliance géopolitique la plus importante avec la Russie, lorsque Xi et Vladimir Poutine ont scellé leur « amitié sans limites » à l’occasion des Jeux olympiques de Pékin, en 2022, à la veille de l’invasion impérialiste de l’Ukraine par la Russie. En tant qu’acteur dominant, la Chine a augmenté ses exportations vers Moscou, y compris des technologies dites à double usage pour son industrie militaire, afin d’empêcher la Russie de s’effondrer sous le poids des sanctions américaines et européennes, et a signé des accords avec la Russie pour importer du pétrole, du gaz naturel et du charbon.
Pour autant, ces puissances ne forment pas un bloc cohérent d’États, et elles ne sont pas non plus en train de forger un « axe d’opposition » aux États-Unis. Ils sont divisés entre eux par des intérêts distincts et parfois concurrents.
Il existe d’innombrables exemples de leurs tensions. L’Inde, par exemple, fait partie des BRICS avec la Chine, mais elle fait également partie du QUAD avec les États-Unis, l’Australie et le Japon contre la Chine. L’Inde et la Chine viennent de s’affronter au sujet de revendications frontalières contestées. Enfin, la Russie et la Chine ont abandonné l’Iran, autre membre des BRICS, lorsqu’il a été attaqué par les États-Unis et Israël.
Les pactes conclus par Pékin ne rompent pas non plus avec l’ordre néolibéral établi par les États-Unis. Par exemple, la Nouvelle banque de développement des BRICS a déclaré son soutien au « système commercial multilatéral, dont l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est le pilier ». En réalité, la Chine a utilisé ses alliances pour promouvoir ses intérêts dans le cadre de l’ordre néolibéral de mondialisation du libre-échange mis en place par les États-Unis.
Faire étalage de sa puissance militaire
Pour étayer son affirmation économique et géopolitique de puissance, la Chine a modernisé son armée. Elle a augmenté ses dépenses militaires annuelles durant trente années consécutives pour atteindre le montant colossal de 296 milliards de dollars en 2023,ce qui représente le deuxième budget militaire au monde, mais seulement un tiers de celui des États-Unis, qui s’élève à plus de 916 milliards de dollars en 2023.
Elle a développé une marine hauturière qui compte plus de navires que toute autre puissance, dont trois porte-avions, et un quatrième en construction. Elle développe aussi ses forces aériennes à un rythme rapide, ainsi que son arsenal nucléaire et sa batterie de missiles balistiques intercontinentaux et hypersoniques.
La Chine a fait étalage de sa puissance militaire en mer de Chine méridionale. Elle a déployé sa marine pour protéger ses voies maritimes, affirmer son contrôle sur les pêcheries et revendiquer les réserves sous-marines de pétrole et de gaz naturel. Cela l’a amenée à entrer en conflit avec plusieurs pays de la région, notamment les Philippines et le Japon, la puissance dominante en Asie, soutenus par les États-Unis, au sujet de revendications opposées sur des îles.
Plus important encore, la Chine a déployé ses forces armées dans le cadre d’exercices de plus en plus agressifs autour de Taïwan, qu’elle considère comme une province rebelle qu’elle entend assimiler par la force si nécessaire. Les États-Unis ont armé cette nation insulaire et ont maintenu une « ambiguïté stratégique » quant à leur intention de la défendre en cas d’invasion chinoise.
Les enjeux de cette impasse ne sont pas seulement géopolitiques, mais aussi économiques. Taïwan produit 90 % des puces électroniques les plus avancées au monde, qui sont indispensables partout, des ordinateurs aux bombardiers de combat de haute technologie comme le F-35 de Lockheed Martin. Les États-Unis et la Chine sont en désaccord sur Taïwan, chacun l’utilisant comme un pion dans leur rivalité tout en bafouant le droit de cette nation à l’autodétermination.
« Rendre à l’Amérique sa grandeur »
Pour repousser la remise en cause de l’hégémonie américaine par la Chine, Trump rompt radicalement avec la grande stratégie post-guerre froide de Washington, qui consistait à superviser le capitalisme mondial à travers des alliances économiques, politiques et militaires multilatérales. En lieu et place, il met en œuvre la stratégie nationaliste autoritaire de la Heritage Foundation.
Aux États-Unis, Trump a lancé une guerre de classe néolibérale. Il espère que l’austérité, les réductions d’impôts et la déréglementation stimuleront les investissements capitalistes dans l’industrie manufacturière, restaureront l’indépendance économique des États-Unis et renforceront leur compétitivité en général, plus particulièrement vis-à-vis de la Chine.
Il mène cette offensive de manière autoritaire en recourant à des décrets présidentiels, en contournant et, dans certains cas, en démantelant la bureaucratie fédérale, et en testant les limites de la Constitution américaine. Il a démantelé des pans entiers de ce qu’on nomme l’État profond, qui l’avaient handicapé lors de son premier mandat, détruit l’État providence et licencié des fonctionnaires fédéraux. Afin de diviser et de vaincre la résistance de la classe ouvrière, il a transformé les migrant·es, les personnes transgenres, les personnes de couleur et les militant·es solidaires de la Palestine en boucs émissaires.
À l’étranger, Trump met en œuvre l’unilatéralisme « America First ». Il ne s’agit pas d’isolationnisme, contrairement à ce qu’affirment à tort les commentateurs traditionnels. Il est déterminé à intervenir économiquement, politiquement et militairement dans le monde entier pour faire avancer les intérêts américains au détriment de ses alliés et de ses adversaires, en particulier la Chine.
Son bombardement des installations nucléaires iraniennes en est la preuve. Cette attaque visait à envoyer un message aux puissances du monde entier, en particulier à la Chine, pour leur faire comprendre que l’administration est plus que disposée à utiliser son puissant arsenal de destruction pour atteindre ses objectifs.
Sa stratégie ne consiste pas non plus à forger un nouveau « Concert des grandes puissances », divisant le capitalisme mondial en sphères d’influence supervisées par les États-Unis, la Chine, la Russie et d’autres grands. Quels que soient les accords proposés à Poutine et Xi, leurs sphères d’influence potentielles se chevauchent et se contredisent.
Les États-Unis, par exemple, ne céderont pas l’Asie à la Chine, ni l’Europe à la Russie. Aucun accord de type Yalta 2.0 n’est en vue. Trump affirme la domination des États-Unis dans le monde entier, tant à l’égard de leurs alliés que de leurs adversaires.
Au sein du chaos qui règne dans son administration, Donald Trump met en œuvre la stratégie unilatéraliste exposée sans détour dans The Prioritization Imperative, qui consiste à se concentrer sur la rivalité entre les grandes puissances que sont Washington et Pékin. Tout d’abord, l’administration a déclaré qu’elle ne jouerait plus le rôle de gendarme mondial, soutenant ses alliés contre l’opposition externe et interne.
Trump a tenté, sans succès, de sortir les États-Unis des guerres à Gaza et en Ukraine. Malgré ses échecs, il semble déterminé à détourner l’attention de ces crises et à convaincre les alliés des États-Unis d’assumer la charge de leur gestion.
Dans le cas de l’Europe, le vice-président J. D. Vance a averti ses alliés, avant même son élection, que « les États-Unis doivent se concentrer davantage sur l’Asie de l’Est. Ce sera l’avenir de la politique étrangère américaine pour les 40 prochaines années, et l’Europe doit en prendre conscience ».
Dans cette optique, Trump a conclu un accord avec les membres de l’OTAN afin qu’ils augmentent leurs dépenses militaires à 5 % de leur PIB pour dissuader l’impérialisme russe, déclenchant ainsi une course à l’armement en Europe. L’Allemagne est allée jusqu’à suspendre les restrictions constitutionnelles sur les dépenses déficitaires afin d’investir massivement dans son réarmement tout en réduisant ses dépenses sociales, et de s’affirmer comme une puissance impérialiste à part entière.
La Chine d’abord
En tentant de faire le ménage dans les affaires de Washington, Trump a tenté de donner la priorité au conflit entre Washington et la Chine. Il a imposé de nouveaux droits de douane à Pékin, intensifié la guerre des puces électroniques avec de nouvelles interdictions sur les ventes de semi-conducteurs et de logiciels, suspendu la vente de technologies et de logiciels essentiels à la fabrication de moteurs à réaction en Chine, et menacé de soumettre toutes les demandes de visa des étudiants chinois à un examen plus approfondi et de refuser les visas aux membres du Parti communiste.
Trump a soutenu cette offensive économique par des pressions géopolitiques sur Pékin. Il a envoyé le secrétaire à la Défense Pete Hegseth dans toute l’Asie pour renforcer les alliances contre la Chine. Lors du Dialogue Shangri-La à Singapour, Hegseth a déclaré à ses alliés, que la menace chinoise « était réelle et pouvait être imminente » pour tous, en particulier pour Taïwan.
Il a promis de les soutenir à condition qu’ils augmentent leurs dépenses militaires. Cette pression, combinée aux conflits entre divers États asiatiques et la Chine, alimente une nouvelle course aux armements sans précédent dans la région depuis la Seconde Guerre mondiale. Le secrétaire d’État, Marc Rubio, a renforcé ce message lors de son propre voyage de suivi en Asie.
Enfin, l’administration augmente son propre budget militaire. Trump a porté le budget du Pentagone à 1 000 milliards de dollars, sa priorité absolue étant, selon les termes de Hegseth, de « dissuader l’agression de la Chine communiste ».
Les États-Unis appuient cette rhétorique par des démonstrations de plus en plus agressives de leur puissance militaire dans la région Asie-Pacifique, comme récemment avec l’exercice biennal Talisman Saber, qu’ils ont mené avec 19 pays, le plus important à ce jour, spécialement conçu comme une répétition de la guerre avec la Chine.
En outre, l’administration a promis de dépenser plus d’un demi-billion de dollars pour son système de défense antimissile Golden Dome afin d’intercepter les missiles avancés développés par la Chine. Un tel système, s’il est construit et s’il fonctionne réellement, permettrait aux États-Unis de frapper sans craindre de représailles, sapant ainsi la dissuasion d’une destruction mutuelle assurée, prédisposant Washington et Pékin à frapper d’abord et à poser des questions ensuite, mettant ainsi en danger toute vie sur Terre.
Obstacles à la priorisation
L’administration Trump est confrontée à des obstacles objectifs et subjectifs pour mettre en œuvre sa stratégie de priorisation. De toute évidence, en tant que plus grand empire informel de l’histoire mondiale, avec des intérêts économiques acquis, des alliances géopolitiques et 800 bases militaires aux quatre coins du globe, elle aura objectivement du mal à se dégager de son rôle de gendarme mondial pour se concentrer sur Pékin.
De plus, les problèmes subjectifs de l’administration – ses conflits internes, son incohérence et la stupidité dictée par le slogan « Make America Great Again » (Rendre sa grandeur à l’Amérique) – compromettent sa stratégie de priorisation. Ceux-ci vont affaiblir davantage le capitalisme américain et saper sa domination impériale.
Trump est tiraillé dans différentes directions. Les protectionnistes comme le conseiller commercial Peter Navarro et le leader du mouvement MAGA, Steve Bannon, prônent un découplage total avec la Chine. Le secrétaire au Tréso,r Steve Bessent, et le président du Conseil des conseillers économiques de Trump, Stephen Mirran, s’y opposent et souhaitent simplement obtenir un meilleur accord – un accord de Mar-a-Lago afin de rééquilibrer les échanges commerciaux dans le cadre de l’ordre capitaliste néolibéral actuel. Et les capitalistes technologiques comme Jensen Huang de Nvidia et Elon Musk soutiennent le libre-échange, y compris avec la Chine.
Trump, toujours transactionnel et versatile, jongle entre ces fractions. Leur conflit a éclaté au sujet de la politique économique, Navarro préconisant les droits de douane réciproques les plus extrêmes, Musk s’y opposant et qualifiant Navarro de « crétin […] plus bête qu’un sac de briques ». Bessent les a tous suspendus dans l’espoir de conclure des accords bilatéraux avec des dizaines de pays, et Trump s’est vanté que tout ce chaos était un exemple de son « art de la négociation ».
Ces conflits ont créé des contradictions dans l’offensive du régime contre la Chine, notamment du point de vue de ses nouvelles politiques tarifaires. Après avoir cédé aux faucons anti-Chinois et joué la carte de la fermeté avec des droits de douane records, il a ensuite fait marche arrière en faisant une concession aux partisans du libre-échange comme Huang, de Nvidia, l’autorisant à vendre des puces de sa société à Pékin.
Huang a plaidé en faveur d’une stratégie différente pour les États-Unis afin de maintenir leur domination dans le domaine des hautes technologies, plus particulièrement dans celui de l’intelligence artificielle (IA). Il soutient que Washington devrait maintenir la Chine dans une position de dépendance vis-à-vis des puces moins puissantes de Nvidia afin de l’empêcher de développer ses propres puces. De cette manière, Washington pourrait à la fois protéger son monopole sur les puces les plus avancées et empêcher Pékin de créer sa propre infrastructure d’IA concurrente qui pourrait supplanter celle des États-Unis. Mais cette stratégie a peu de chances d’aboutir, étant donné que la Chine est déterminée à construire précisément une telle infrastructure.
Les faucons antichinois de l’administration ont également défendu que le fait que Pékin a accès à des puces, même moins avancées, peut lui permettre de les copier et d’accélérer son propre programme. L’issue de ce débat stratégique reste incertaine, mais aucun des deux camps ne devrait réussir à freiner le développement rapide de ses propres puces, de ses entreprises de haute technologie et de son programme d’IA par la Chine.
Les messages confus de TACO Don
Des contradictions similaires sont apparues dans la façon dont Trump traite les alliés et les vassaux de Washington. Il augmente les taxes afin de contraindre tous les États du monde à se plier aux intérêts américains et à s’opposer à la Chine. Par exemple, son nouvel accord avec le Vietnam empêche la Chine d’utiliser ce pays comme base pour faite transiter des marchandises vers les États-Unis afin d’éviter les droits de douane.
Mais une telle intimidation aliène les États dont Trump a justement besoin pour former un bloc contre la Chine. Il était peu judicieux de déclencher une guerre tarifaire avec le Mexique, une semi-colonie de Washington, et avec son partenaire impérialiste junior, le Canada, qui sont tous deux totalement intégrés à l’économie américaine.
Il était encore moins logique d’imposer des droits de douane généraux à des ennemis, à des alliés et à des îles économiquement insignifiantes, habitées uniquement par des pingouins et des phoques. Tout cela n’a fait que pousser les alliés à faire passer leurs intérêts avant ceux des États-Unis, entravant ainsi la formation d’un bloc d’États impérialistes pour affronter et contenir la Chine.
Trump a ajouté de la confusion dans sa politique tarifaire en accordant des exemptions à des multinationales comme Apple, puis en ramenant tous les droits de douane réciproques à 10 %, un niveau qui reste sans précédent ces dernières années, et en promettant de nouvelles réductions dans le cadre de négociations bilatérales avec des pays du monde entier. Cela a valu au président le surnom insultant de TACO, abréviation de « Trump Always Chickens Out » (Trump se dégonfle toujours).
Sa brève guerre tarifaire avec la Chine a été tout aussi maladroite et contre-productive. Lorsque les États-Unis ont imposé des droits de douane de 145 % sur les exportations chinoises, la Chine a riposté avec des droits de 125 %, perturbant les chaînes d’approvisionnement, ralentissant les deux économies et entraînant des pénuries dans les usines et les rayons des magasins aux États-Unis. Une fois de plus, TACO Don a reculé, concluant un « accord à l’amiable » à Genève pour réduire les droits de douane sur la Chine à 30 %, tandis que Pékin a baissé les siens à 20 %.
La guerre tarifaire imprévisible menée par Trump contre la Chine a aliéné les capitalistes américains qui dépendent de la chaîne d’approvisionnement chinoise et vendent sur son marché. La Business Roundtable, la Chambre de commerce, de grandes multinationales comme Apple et de nombreuses petites entreprises ont toutes fait pression sur Trump pour obtenir des exemptions et une réduction des droits de douane.
De plus, les marchés boursiers et obligataires ont manifesté leur opposition. Les actions ont chuté, tandis que les investisseurs vendaient leurs obligations, faisant grimper les rendements et, avec eux, les taux d’intérêt à long terme. Trump n’a donc eu d’autre choix que de céder, donnant ainsi l’impression que les menaces du « Tariff Man » étaient bien pires que ses actes.
Sa nouvelle série d’augmentations tarifaires est empreinte de la même contradiction. D’un côté, il a adressé des lettres sévères à divers pays, amis comme ennemis, les menaçant de nouveaux prélèvements, mais de l’autre, il a repoussé la date limite pour les accords commerciaux au 1er août.
Rendre la stagflation à nouveau formidable
Le projet de loi « Big Beautiful Bill » de Trump aggravera les problèmes du capitalisme américain, sapant ainsi sa tentative de réaffirmer sa domination. Malgré des mesures d’austérité brutales à l’encontre de la classe travailleuse, il entraînera une augmentation globale des dépenses, avec une forte hausse des dépenses liées au renforcement des contrôles aux frontières et à la défense, tout en réduisant les impôts des riches et des entreprises. Cela entraînera une augmentation du déficit et de la dette.
Musk a dénoncé le projet de loi comme étant « une abomination répugnante », déclenchant une guerre sur les réseaux sociaux avec TACO Don, puis il a lancé un parti tiers afin de destituer les républicains qui ont voté en faveur de ce projet de loi. Moody’s a donné raison à Musk en abaissant la note de crédit de Washington, augmentant ainsi le risque d’une hausse des taux d’intérêt pour les prêts accordés à tous, des capitalistes aux propriétaires de petites entreprises, en passant par les professionnels et les travailleurs.
L’offensive de Trump contre les migrant·es va encore aggraver les problèmes économiques des États-Unis. Son projet de loi prévoit une augmentation de 170 milliards de dollars dans le domaine de l’application des lois sur l’immigration, ce qui porterait les dépenses annuelles de l’ICE à près de 40 milliards de dollars, une somme qui en ferait le 16e budget militaire au monde. Il a déjà fermé la frontière et lancé des raids dans tout les États, déclenchant une résistance à Los Angeles et dans tout le pays.
Trump a répondu à cette opposition en déployant 4 000 soldats de la Garde nationale, ainsi que 700 marines, pour aider la police de Los Angeles à protéger le règne de la terreur de l’ICE contre les migrant·es. Pourtant, les travailleurs qu’il vise à expulser sont essentiels à l’économie américaine dans tous les domaines, de la transformation de la viande à la construction et à l’agriculture.
Toute diminution de la participation de ces segments essentiels de la main-d’œuvre entraînera une hausse des salaires, provoquant des pénuries, une augmentation des prix et une hausse de l’inflation. Dans un geste désespéré, le secrétaire à l’Agriculture Brooke Rollins a présenté une proposition sadique et inutile visant à utiliser de nouvelles exigences en matière d’aide sociale pour forcer les bénéficiaires de Medicaid à remplacer des millions de travailleurs expulsés.
Face à la menace de perdre leur main-d’œuvre, les entreprises agricoles, les magnats de l’hôtellerie, les entreprises de construction et d’autres capitalistes ont fait pression sur Trump pour qu’il revienne sur sa décision, ce qu’il a fait, promettant de réduire les descentes sur les lieux de travail et de se concentrer sur les « criminels ». Mais ensuite, sous la pression de son chef de cabinet d’extrême droite, Stephen Miller, il a promis de poursuivre les raids, malgré le fait que la majorité de la population s’y oppose désormais et que 79 % des personnes interrogée considèrent l’immigration comme une « bonne chose ».
Les économistes craignent que les politiques de Trump n’affaiblissent la croissance américaine, voire ne déclenchent une récession. Au lieu de stimuler la relance de l’industrie manufacturière aux États-Unis, la politique tarifaire erratique et le projet de loi controversé de Trump ont entraîné une contraction des investissements et un gel des embauches, ralentissant une économie déjà stagnante dans un contexte d’inflation persistante et potentiellement plus élevée en raison de la perturbation des chaînes d’approvisionnement chinoises. Cela a ravivé les craintes d’un nouveau cycle de stagflation, le cauchemar des années 1970, affaiblissant le capitalisme américain.
La stupidité de MAGA
La guerre idéologique menée par Trump contre la bureaucratie étatique, les institutions sociales et les agences du soft power impérial va compromettre davantage la domination américaine. Il élimine, réduit et purge des ministères clés, du FBI à la CIA, en passant par les hautes sphères de l’armée et du département d’État, afin de se débarrasser de tout obstacle à son régime autoritaire.
Ce faisant, il rend inopérantes des parties essentielles de l’État qui font respecter et accepter la domination américaine. Par exemple, il a vidé de sa substance Voice of America, un média clé que les États-Unis ont historiquement utilisé pour diffuser de la propagande contre leurs adversaires et séduire leurs opposants nationaux afin qu’ils considèrent à tort Washington comme un allié dans leurs luttes.
La Chine et la Russie se sont réjouies. L’ancien rédacteur en chef du Global Times chinois a déclaré que c’était « vraiment gratifiant », tandis que le rédacteur en chef de la chaîne russe Russia Today a qualifié cette décision d’« impressionnante ». Pékin et Moscou injectent davantage d’argent pour combler le vide et gagner en influence mondiale.
L’attaque en règle de Trump contre l’enseignement supérieur, en particulier contre les institutions d’élite telles que Harvard, va également nuire à la suprématie américaine. Lui-même, et surtout Vance, qui a prononcé un discours tristement célèbre intitulé « Les universités sont l’ennemi », méprisent ces institutions parce qu’elles reproduisent l’establishment capitaliste libéral, qu’ils considèrent comme leur ennemi mortel.
Trump a justifié cette attaque en invoquant de fausses accusations d’antisémitisme et une prétendue hésitation de ces institutions à réprimer le mouvement de solidarité avec la Palestine. Sous ce prétexte, il a réduit leur financement, exigé qu’elles revoient leurs programmes d’études et appelé à la suppression de leurs programmes en faveur de la diversité, de l’équité et de l’inclusion.
Cette attaque contre l’enseignement supérieur va affaiblir l’impérialisme américain. Elle perturbera la reproduction de la classe dirigeante, de ses idéologues et de ses professionnels. Et elle empêchera la formation d’une classe travailleuse qualifiée, essentielle pour que les États-Unis dominent leurs concurrents dans le domaine des hautes technologies.
Ces institutions jouent un rôle central dans le complexe militaro-industriel, en particulier dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STEM). Réduire leur financement compromettra les efforts des États-Unis pour gagner la « guerre des puces » contre la Chine. Les répercussions ne seront pas seulement supportées par les écoles d’élite et leurs étudiants fortunés dans les États bleus [démocrates], mais aussi par les universités publiques et les étudiants issus de la classe ouvrière des États rouges [républicains].
Pire encore pour l’impérialisme américain, la chasse aux sorcières menée par Trump contre les étudiants étrangers, en particulier chinois, ainsi que contre les chercheurs internationaux, les poussera à quitter le pays, privant ainsi les universités et les entreprises d’une source essentielle de talents internationaux, en particulier dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STEM). Déjà, les concurrents de Washington, de l’Europe à la Chine, recrutent des étudiants chinois en leur proposant des financements et des emplois lucratifs, ce qui conduit la classe dirigeante à paniquer face à une fuite des cerveaux.
L’offensive de Trump contre la science va compromettre également la suprématie des États-Unis. Il réduit non seulement le financement de la recherche scientifique dans l’enseignement supérieur, mais aussi celui de la National Science Foundation, des National Institutes of Health, de l’Environmental Protection Agency, de la National Oceanic and Atmospheric Administration, du National Weather Service et de la Federal Emergency Management Agency (FEMA).
De telles coupes budgétaires paralyseront les recherches essentielles, non seulement pour les entreprises, mais aussi pour la sécurité et la santé publiques, déstabilisant ainsi la société américaine. Avec la paralysie de la FEMA et d’autres agences, les tragédies causées par le changement climatique, comme la mort par noyade de plus d’une centaine de personnes lors des récentes inondations soudaines dans le centre du Texas, qui auraient pu être évitées grâce à une réglementation, des précautions et des alertes appropriées, se multiplieront dans tout le pays.
La destruction de l’USAID par Trump, ainsi que le retrait des USA de la plupart des institutions et accords multilatéraux – notamment l’Organisation mondiale de la santé, les accords de Paris sur le climat et presque toutes les agences des Nations unies – compromettent fondamentalement le soft power de Washington et sa capacité à gagner des alliés et des sujets à sa cause impériale contre la Chine. Au contraire, cela isolera et discréditera les États-Unis et incitera encore plus d’États à les considérer avec méfiance.
Les politiques « America First » de Trump ont déjà conduit les autres puissances à tracer leur propre voie en donnant la priorité à leurs intérêts économiques, politiques et militaires. Cela conduira à son tour à un conflit accru entre les États à travers le monde. Il sera également plus difficile pour les États-Unis de faire pression sur leurs alliés nominaux, comme l’Europe et le Japon, pour qu’ils limitent leurs échanges commerciaux avec la Chine. En conséquence, tout ce qui restera au régime Trump, c’est la force, l’intimidation économique et militaire.
Plutôt que de restaurer la domination américaine, la mise en œuvre incohérente de la stratégie America First par le régime risque d’accélérer son déclin relatif. Fiona Hill, qui a servi dans la première administration Trump, est allée jusqu’à comparer son ancien patron à Boris Eltsine, qui a supervisé l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, déclarant : « Trump est en train de déconstruire les États-Unis, tout comme Eltsine a déconstruit l’Union soviétique ».
La Chine affronte Trump
Consciente de sa position de force vis-à-vis des États-Unis, la Chine a tenu tête à l’agressivité de Trump et a exploité les contradictions de son administration. Elle a mis au défi ses menaces tarifaires, répondant à chacune de ses augmentations par des mesures similaires, y compris celles visant spécifiquement les États républicains.
Elle a joué son atout majeur : son quasi-monopole sur le traitement des terres rares et des aimants, composants essentiels de beaucoup de choses, des voitures aux chasseurs-bombardiers américains comme le F-35. Elle a suspendu leurs exportations, paralysant ainsi la production civile et militaire.
La Chine a poussé Trump à conclure un « accord à l’amiable » prévoyant une pause de 90 jours afin de permettre la tenue de négociations en vue d’un accord commercial. Alors qu’il reculait, Xi Jinping en faisait de même. L’économie ayant déjà du mal à maintenir sa croissance, le leader chinois ne pouvait se permettre une cessation quasi totale des échanges commerciaux avec les États-Unis. Malgré l’augmentation des exportations vers l’Europe et l’Asie du Sud-Est et une croissance globale modeste, la perte des marchés américains a perturbé les activités commerciales en Chine.
Mais leur accord a volé en éclats lorsque la Chine a limité la vente de terres rares et que les États-Unis ont riposté en interdisant l’exportation de puces, de logiciels essentiels et de pièces pour la construction d’avions chinois. Leurs économies étant menacées, les deux pays ont de nouveau cédé, promettant de rétablir leur accord et de poursuivre les négociations commerciales bilatérales en vue d’un accord définitif. Néanmoins, la Chine a mis en évidence les faiblesses de Trump.
Xi a exploité l’abandon par la nouvelle administration américaine de la supervision de l’ordre néolibéral de la mondialisation du libre-échange en se posant en défenseur de celui-ci. Il s’est engagé à être, contrairement à Washington, un partenaire commercial fiable pour le reste du monde.
Bien sûr, cette déclaration n’était pas tout à fait désintéressée, car la Chine a été l’un des principaux bénéficiaires de cet ordre et a désespérément besoin d’accéder aux marchés internationaux pour exporter son capital et ses produits. En effet, la Chine a compensé la perte des marchés américains en réorientant ses exportations vers le reste du monde, atteignant un excédent commercial record de 586 milliards de dollars.
Xi a également profité de la décision insensée de Trump de lancer sa guerre commerciale contre tous les pays à la fois en proposant des offres diplomatiques et commerciales aux États d’Asie, d’Amérique latine, d’Afrique et d’Europe. Mais la réponse des États du monde a été contradictoire. Ils ont à la fois accueilli favorablement les offres de la Chine et exprimé leur inquiétude quant au fait qu’elle les utilise pour exporter ses excédents vers leurs marchés, sapant ainsi leurs entreprises.
Le Brésil s’est récemment rapproché de la Chine dans le cadre d’une défense commune du libre-échange, mais l’année dernière encore, il a lancé une enquête contre Pékin pour dumping, tandis que ses entreprises sidérurgiques exigeaient une augmentation des droits de douane afin de protéger leur industrie et leur part de marché.
Enfin, Xi a répondu au militarisme accru de Trump en affirmant de manière agressive la puissance militaire de la Chine. La Chine a intensifié ses exercices militaires autour de Taïwan, envoyé des navires en Australie dans le cadre d’un exercice naval sans précédent, exacerbé ses conflits avec les Philippines et d’autres États de la mer de Chine méridionale au sujet d’îles contestées, et même déployé deux porte-avions dans les eaux économiques japonaises.
Une rivalité mondiale croissante
La rivalité entre les États-Unis et la Chine domine le monde entier, du Groenland à Panama, à l’Arctique, à l’Antarctique, et même à l’espace. Ils sont engagés dans une concurrence acharnée dans des conflits et des théâtres d’opération clés en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique et en Amérique latine.
En Europe, Trump avait espéré conclure un accord avec Vladimir Poutine pour le partage de l’Ukraine, peut-être dans le but de détacher la Russie de son alliance avec la Chine. Mais sa proposition a été rejetée par Moscou, qui semble déterminée à annexer autant de territoire que possible, quel qu’en soit le coût en vies humaines pour la Russie et l’Ukraine.
La Chine reste attachée à son « amitié sans limites » avec la Russie, soutenant son économie contre le régime de sanctions. De son côté, Kiev s’est opposé à la partition de son pays, a refusé d’accepter tout accord sans garanties de sécurité, continue de défendre sa souveraineté face à l’agression continue de la Russie et a réussi à lancer une attaque de drones contre la flotte de chasseurs-bombardiers de Moscou.
Cependant, Trump a remporté quelques victoires, notamment en faisant pression sur ses alliés de l’OTAN pour qu’ils augmentent leurs dépenses militaires à 5 % de leur PIB et se réarment à un rythme effréné. Par conséquent, l’Ukraine continuera à être une source de conflit interimpérialiste autour d’une lutte de libération nationale qui pourrait dégénérer en une guerre impliquant plusieurs grandes puissances.
Au Moyen-Orient, les États-Unis étaient jusqu’à présent la puissance hégémonique incontestée, mais la Chine est une puissance montante. Comme Pékin dépend du pétrole et du gaz naturel de la région pour son énergie et son industrie pétrochimique, elle a établi des relations politiques et économiques avec tous les pays de la région, de l’Iran aux États du Golfe en passant par Israël.
Biden, et maintenant Trump, ont utilisé la guerre génocidaire d’Israël pour réaffirmer la puissance américaine dans la région et affaiblir le soi-disant Axe de la Résistance, décimant le Hezbollah, affaiblissant l’Iran et concluant des accords avec les rebelles qui ont renversé la dictature syrienne. Trump espérait consolider la domination américaine grâce à une « solution finale » à Gaza, à des accords économiques avec les États arabes, à l’extension des accords d’Abraham visant à normaliser leurs relations avec Israël et à un nouveau pacte nucléaire avec l’Iran, afin de pouvoir donner la priorité à la confrontation avec la Chine.
Cependant, la résistance palestinienne reste inébranlable, et les masses arabes de la région s’opposent à la normalisation et sont hostiles à leurs dirigeants qui vivent dans le luxe, alors qu’elles sombrent dans la pauvreté. Lorsque les négociations nucléaires avec l’Iran ont achoppé, Israël en a profité pour lancer sa blitzkrieg, non seulement contre les installations nucléaires de Téhéran, mais aussi contre ses dirigeants, ses militaires et ses scientifiques.
Trump a décidé de soutenir cette agression, puis a largué plusieurs des plus grosses bombes conventionnelles de l’armée américaine, les Massive Ordinance Penetrator, afin de détruire les installations nucléaires iraniennes, notamment celle de Fordow, enfouie profondément sous une montagne. Trump a toutefois limité son action à une attaque ponctuelle, plutôt que de tenter un changement de régime, ce qui aurait entraîné Trump dans une guerre de grande ampleur et sapé le soutien de sa base isolationniste MAGA.
Trump s’est désormais engagé à reprendre les négociations avec l’Iran, dans l’espoir de parvenir à un accord sur son programme nucléaire. Il reste à voir si le régime iranien, déchiré entre ceux qui veulent fabriquer une bombe et ceux qui préfèrent un accord, acceptera d’arrêter son programme selon les conditions imposées par les États-Unis.
Si les États-Unis semblent avoir remporté des victoires majeures, la région reste le théâtre de conflits interétatiques et de résistances populaires. La Chine, qui est restée les bras croisés pendant que son allié iranien était malmené, profitera de tout revers subi par les intérêts américains pour faire avancer les siens dans la région, garantissant ainsi que les conflits et les rébellions qui y sévissent seront l’occasion d’une lutte impériale pour le pouvoir.
L’Amérique latine est une autre zone de contestation croissante. Alors que les États-Unis ont été l’hégémon régional, la Chine a utilisé son initiative « Belt and Road » pour devenir un investisseur majeur dans la région et le premier partenaire commercial de l’Amérique du Sud. Cela lui a permis d’attirer des puissances moyennes, comme le Brésil, dans son orbite, grâce à l’alliance des BRICS.
Les États-Unis ont réagi en réaffirmant leur pouvoir face à l’influence de Pékin. Trump a utilisé l’accusation selon laquelle la Chine contrôle secrètement le canal de Panama pour menacer de l’annexer et a augmenté les droits de douane sur les pays qui dépendent des exportations vers le marché américain afin d’imposer les diktats de Washington.
Les deux puissances se livrent également à une nouvelle ruée vers l’Afrique. La Chine est devenue le plus grand investisseur du continent, en se concentrant sur l’exploitation minière, en particulier celle des terres rares. Trump a réagi en utilisant les investissements, les droits de douane et la pression géopolitique pour intimider les nations afin qu’elles se tournent vers les États-Unis.
Par exemple, lors des négociations de paix entre le Rwanda et le Congo, il a fait pression sur la partie congolaise pour qu’elle autorise les États-Unis, plutôt que la Chine, à extraire des terres rares. Ce n’est là qu’un exemple parmi tant d’autres des conflits par procuration qui opposent Washington et Pékin en Afrique. Ceux-ci vont s’intensifier à mesure que la Chine cherchera à étendre son monopole extractiviste sur les terres rares et que les États-Unis tenteront de le briser.
Points chauds dans la lutte pour l’hégémonie en Asie
Cependant, la région la plus exposée aux conflits entre les États-Unis et la Chine est de loin l’Asie. Plusieurs points chauds pourraient déclencher une guerre, malgré l’intention déclarée des deux pays de l’éviter.
Les États-Unis et la Chine se sont déjà engagés dans une quasi-guerre par procuration au Cachemire, Pékin soutenant le Pakistan et Washington, l’Inde. Les deux grandes puissances ont soigneusement analysé les performances de leurs avions, missiles et systèmes de défense par rapport à ceux de l’autre.
La situation est encore plus inquiétante entre la Corée du Sud et la Corée du Nord. Les États-Unis, qui disposent d’importantes bases en Corée du Sud, ont tenté de bloquer tout accord de paix avec le Nord, de faire pression sur Séoul pour qu’elle augmente ses dépenses militaires et de conclure un pacte militaire avec le Japon contre la Chine. Cela ne fera qu’antagoniser Pyongyang et Pékin, exacerbant un conflit qui implique trois puissances nucléaires.
Le bras de fer entre la Chine et les Philippines au sujet des îles contestées en mer de Chine méridionale est tout aussi inquiétant. Trump a établi des relations amicales avec le nouveau gouvernement philippin de Ferdinand « Bong Bong » Marcos, le fils du dictateur notoire, et y a envoyé Hegseth pour sa première mission à l’étranger en Asie.
Hesgeth a promis de maintenir « l’alliance indéfectible » de Washington avec les Philippines « face à l’agression de la Chine communiste dans la région ». Il a déclaré que les États-Unis avaient l’intention d’augmenter leur aide militaire, d’organiser davantage d’opérations conjointes et de prépositionner du matériel militaire américain pour des opérations dans la région Asie-Pacifique.
Le conflit le plus important et le plus explosif concerne Taïwan. Comme indiqué ci-dessus, les enjeux ne sont pas seulement géopolitiques, mais aussi économiques, en raison de l’industrie avancée des microprocesseurs de Taipei. Xi a ordonné à son armée de se préparer à annexer le pays d’ici 2027, tandis que les États-Unis ont fait de la défense de l’île leur priorité absolue.
Par conséquent, le conflit impérial et régional s’intensifie dans toute la région Asie-Pacifique, les États s’armant jusqu’aux dents.
Contre le nationalisme impérialiste
Dans cette conjoncture inquiétante, la gauche doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher que la rivalité interimpérialiste ne déclenche une nouvelle guerre mondiale. Aux États-Unis, notre première et principale tâche consiste à nous opposer à notre propre État impérialiste, qui reste la puissance la plus dangereuse au monde.
Le principal terrain sur lequel construire l’opposition est la résistance générale au régime de Trump. Ce mouvement émergeant rassemble un large éventail de forces allant d’ONG explicitement favorables au Parti démocrate comme Indivisible [mouvement de résistance citoyenne progressiste, né au lendemain de la première élection de Trump, en novembre 2016, NDT] au mouvement de solidarité avec la Palestine, en passant par les syndicats regroupés autour de May Day Strong [coalition de syndicats, d’organisations communautaires et de réseaux progressistes, réunie autour de la journée nationale d’action du 1er mai 2025, NDT]. La gauche doit plaider en faveur d’un mouvement ouvrier indépendant qui s’oppose à toutes les attaques de Trump visant à diviser et à régner sur les opprimés et qui s’oppose à l’impérialisme américain sous toutes ses formes – économique, géopolitique et militaire.
Nous devons avancer plusieurs arguments essentiels. La résistance ne doit pas céder au chant des sirènes de Trump, qui prône le nationalisme, le protectionnisme et les attaques xénophobes contre les étudiants et chercheurs chinois aux États-Unis et les travailleurs chinois en Chine continentale, qu’il considère comme une menace. Sean O’Brien, du syndicat des Teamsters, et Shawn Fain, du syndicat United Autoworkers, ont tous deux succombé à cette tentation, exprimant leur soutien aux droits de douane comme moyen de sauver des emplois.
Trump est un magnat de l’immobilier corrompu qui a joué dans une émission de téléréalité dont le slogan était « Vous êtes viré ». Il se moque des travailleurs. De plus, contrairement à ce qu’affirment les responsables syndicaux, la grande majorité des pertes d’emplois n’ont pas été causées par la mondialisation, mais par l’imposition par les entreprises d’une production allégée et la délocalisation des usines au sein des États-Unis, du nord syndiqué vers le sud non syndiqué.
Blâmer la mondialisation décharge les patrons de toute responsabilité. Cela approfondit aussi les divisions racistes et anti-immigrés au sein de la classe ouvrière multiraciale et multinationale des États-Unis, ainsi qu’entre les travailleurs américains et ceux d’autres pays, en particulier de Chine. De tels préjugés mineront la solidarité nécessaire pour s’organiser contre le système international de production, de transport et de vente du capitalisme.
Le nationalisme économique a eu des incidences mortelles dans les années 1980, lorsque deux ouvriers de l’automobile licenciés, qui attribuaient leur chômage au Japon, ont tué un Américain d’origine chinoise, Vincent Chin, qu’ils avaient pris pour un Japonais. Il peut avoir des conséquences tout aussi mortifères aujourd’hui, alors que Trump prend pour cible les étudiants et chercheurs chinois, attisant le racisme anti-chinois et anti-asiatique en général.
Pire encore, le fanatisme nationaliste lie la classe ouvrière à l’impérialisme américain. Trump et les démocrates exploiteront cette allégeance pour nous convaincre d’accepter l’austérité afin de financer l’augmentation des budgets de l’ICE et de l’armée, ainsi que pour tuer et mourir pour préserver la domination américaine sur la Chine et d’autres rivaux, et non pour améliorer la vie des travailleurs.
Dans le même temps, nous devons nous opposer à la défense par les démocrates de l’ordre néolibéral actuel fondé sur la mondialisation du libre-échange. Celui-ci a servi de vecteur à l’hégémonie impérialiste américaine sur le capitalisme mondial, au détriment des travailleurs qui ont été contraints de se livrer à un dumping social et salarial au profit de « nos » dirigeants.
L’ennemi de mon ennemi n’est pas mon ami
Nous devons également contester les arguments de ceux qui, à gauche, soutiennent les rivaux de Washington, comme la Chine ou la Russie, en les présentant comme une alternative. Ils ne le sont pas. Ce sont des États capitalistes et impérialistes. Pékin a prouvé sa nature prédatrice et brutale au Xinjiang et à Hong Kong, tandis que Moscou a fait de même en Ukraine.
L’ordre multipolaire auquel aspirent les rivaux de Washington n’est pas non plus une alternative. Bien sûr, l’unipolarité – l’hégémonie sans égale de l’impérialisme américain – était intolérable, comme l’a prouvé l’Irak, mais un ordre multipolaire de puissances impériales concurrentes ne sera pas meilleur et pourrait être bien plus meurtrier. N’oublions pas que le dernier ordre multipolaire s’est soldé par deux guerres mondiales.
Lorsque certaines sections de la gauche soutiennent l’État chinois ou russe, elles trahissent inévitablement la solidarité internationale avec la lutte de libération des nations et des peuples opprimés par ces États et des travailleurs qu’ils exploitent. À leurs yeux, ces luttes menacent Pékin et Moscou et leur capacité à tenir tête aux États-Unis. Elles troquent l’internationalisme de la classe travailleuse contre un nationalisme de grandes puissances à l’envers.
Pire encore, présenter ces États comme une sorte d’alternative ne fera que discréditer la gauche aux yeux de la plupart des travailleurs. Personne ne veut vivre dans des États policiers comme la Chine ou la Russie, tout comme personne ne veut vivre sous le régime de plus en plus autoritaire de Trump, ici, aux États-Unis.
Pour un anti-impérialisme internationaliste
L’alternative à l’impasse du nationalisme des grandes puissances est l’internationalisme. Il se présente sous deux formes. L’une, courante, qui semble à première vue attrayante et réaliste, c’est l’internationalisme par en haut. Souvent mis en avant par les pacifistes et les réformistes, il prône la coopération internationale entre rivaux impérialistes comme voie vers l’entente et la paix.
Au début du XXe siècle, Karl Kautsky avait promis une telle « internationale dorée », mais ces espoirs ont été anéantis par la Première Guerre mondiale. Aujourd’hui, les gens de gauche qui s’orientent vers le Parti démocrate, espèrant convaincre ou élire ses dirigeants afin qu’ils mènent une politique de collaboration entre les grandes puissances.
Cette stratégie n’a pas plus de chances d’aboutir aujourd’hui qu’à l’époque de Kautsky. Pourquoi ? Parce qu’elle ne tient pas compte du fait que les rivalités interimpérialistes ne sont pas seulement le produit des politiques gouvernementales, mais aussi de la concurrence capitaliste qui pousse les grandes puissances à s’affronter pour le partage du marché mondial.
De plus, le véhicule choisi pour réaliser le rêve de coopération, le Parti démocrate, s’est montré imperméable à l’influence de la gauche. Rappelons-nous, que malgré les tentatives de la gauche d’utiliser les démocrates à des fins anti-impérialistes, ce sont eux qui ont déclenché la plupart des guerres du XXe siècle, de la Première Guerre mondiale au Vietnam en passant par le génocide perpétré par Israël à Gaza. Et même si les démocrates ont pu grogner contre les guerres lancées par les républicains, comme celle en Irak, ils les ont tout de même soutenues en votant les budgets militaires nécessaires à leur conduite.
Au contraire, nous avons besoin d’un internationalisme anti-impérialiste venant d’en bas. Cela implique de s’opposer avant tout à notre propre État impérialiste, les États-Unis, sous toutes ses formes, depuis ses politiques économiques (qu’elles soient protectionnistes ou libérales) jusqu’à ses intimidations géopolitiques et ses guerres.
Les anciens partenaires impérialistes de Washington, tels que l’Union européenne, la Grande-Bretagne, le Canada, le Japon et l’Australie, n’offrent aucune option progressiste, comme le prouvent leur passé colonial de conquête et d’exploitation économique. Aujourd’hui, dans un contexte de décomposition de l’hégémonie américaine, ils ne visent que leur propre avantage capitaliste.
Dans le même temps, nous ne devons pas nous faire d’illusions sur les rivaux impérialistes des États-Unis, notamment la Chine. Nous devons nous opposer à Pékin et défendre le droit à l’autodétermination des nations telles que Taïwan et des minorités nationales telles que les Ouïghours qu’il opprime. Et, tout aussi important, nous devons nous opposer à l’utilisation cynique par Washington de ces luttes nationales et populaires à des fins impérialistes.
Les travailleurs contre la rivalité et la guerre
Notre projet principal doit être de construire une solidarité internationale entre les classes travailleuses de toutes les puissances impériales et régionales ainsi que des nations opprimées. Cela est aujourd’hui plus réalisable que jamais. La mondialisation a lié les destins des travailleurs du monde entier.
Cela n’est nulle part plus évident qu’aux États-Unis, au Canada et au Mexique, où la régionalisation de la production et les migrations de population ont lié le destin de la classe travailleuse nord-américaine. Soit nous restons unis, soit nous serons divisés et vaincus séparément.
Il en va de même pour les travailleurs américains, chinois et taïwanais, qui sont liés par les chaînes mondiales de production, d’approvisionnement et de vente au détail. Par exemple, Apple conçoit ses produits en Californie, sous-traite leur fabrication à Foxconn à Taïwan, qui emploie à son tour des travailleurs migrants chinois pour fabriquer des iPhones et d’autres appareils en Chine, lesquels sont ensuite acheminés par les employés de FedEx vers les États-Unis pour être vendus, soit directement aux clients, soit par les employés du commerce de détail.
Ainsi, même dans le cas de Taïwan, le point chaud le plus dangereux au monde dans la rivalité entre les États-Unis et la Chine, la classe ouvrière internationale partage des intérêts communs contre les trois classes dominantes de ces pays qui collaborent pour nous exploiter.
Compte tenu de notre pouvoir de paralyser leur système, nous avons le potentiel de nous unir et de nous opposer à leur rivalité et à leur glissement vers la guerre. La manière la plus importante dont le mouvement syndical peut y parvenir aujourd’hui est de faire front à la chasse aux sorcières menée par Trump contre les étudiants, les diplômés et les scientifiques chinois. C’est essentiel pour construire une unité dans la lutte au sein de la classe travailleuse américaine, dans laquelle les étudiants chinois jouent un rôle important dans l’organisation des syndicats de l’enseignement supérieur.
Si le mouvement syndical américain parvenait à s’unir contre la sinophobie, cela enverrait un signal fort aux travailleurs chinois, leur montrant que les travailleurs américains sont leurs alliés naturels. De plus, les étudiants, les doctorants et les scientifiques chinois peuvent aider à établir des liens transfrontaliers, concrétisant ainsi la solidarité internationale.
Nous avons la possibilité de forger une telle unité au sein des luttes suscitées par le ralentissement mondial du capitalisme, l’autoritarisme croissant de nos dirigeants et les mesures d’austérité qu’ils nous imposent à tous. Au cours des quinze dernières années, nous avons assisté à une vague sans précédent de luttes de masse partout dans le monde, y compris aux Etats-Unis, avec Occupy, Black Lives Matter, la révolte des enseignants des États rouges et le mouvement de solidarité avec la Palestine.
Des luttes similaires ont éclaté en Chine. Les travailleurs migrants se sont mis en grève, les Hongkongais ont organisé un soulèvement démocratique massif et le peuple chinois s’est soulevé dans des manifestations et des grèves massives contre les mesures brutales de confinement imposées par le régime pour lutter contre la Covid.
La rivalité entre Washington et Pékin provoquera encore plus de luttes de la classe travailleuse. La guerre de classe brutale menée par Trump dans son pays pour transférer la richesse des travailleurs vers les milliardaires et la machine de guerre du Pentagone a déjà déclenché une résistance nationale.
De même, Xi fera payer la classe ouvrière chinoise pour défier les États-Unis, la forçant, selon les termes d’un responsable, lors du dernier mandat de Trump, à traverser la guerre commerciale « en mangeant de l’herbe pendant un an ». Une telle austérité attisera les luttes en Chine.
Face à la résistance dans les deux pays, notre tâche consiste à trouver tous les moyens possibles pour relier nos luttes communes. Nous pouvons et devons mettre en avant le slogan de Marx et Engels « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous… Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes ». Aujourd’hui, ce n’est pas un objectif utopique, mais une possibilité réaliste et même une nécessité.
* Publié pour la première fois dans Tempest, le 6 août 2025. Traduit en français par nos soins. Nous avons conservé les liens hypertextes de l’original, lorsque les publications référencées étaient en libre accès.
Ashley Smith est membre du collectif Tempest à Burlington, dans le Vermont. Il a écrit dans de nombreuses publications, notamment Spectre, Truthout, Jacobin, New Politics et bien d’autres publications en ligne et imprimées.