Combattre le racisme par la mobilisation de classe – Leçons de Torre Pacheco

par | Juil 20, 2025 | Antiracisme, Espagne, Extrême droite, Français, International, Lutte des classes

Le 9 juillet, un habitant de 68 ans a été violemment agressé à Torre Pacheco, dans la région de Murcie. Cette localité, au cœur du « potager de l’Europe », concentre une main-d’œuvre immigrée surexploitée dans l’agriculture. Bien que la victime ait appelé au calme, l’incident a déclenché une série de pogroms racistes, encouragés par des groupes fascistes extérieurs. Vox et le PP ont, chacun à leur manière, attisé ces violences, avec la complaisance de la police.

Comprendre les fondements du racisme

Mais il ne suffit pas d’en rester au récit. Ce qui s’est passé à Torre Pacheco n’est pas un accident isolé. Cela s’inscrit dans une conjoncture marquée par la montée de l’extrême droite et l’enracinement du racisme, nourris par une crise systémique. Cette radicalisation ne vient pas d’un « excès d’immigration » ou d’un « choc culturel », comme le prétendent les réactionnaires, mais d’une recomposition capitaliste qui fragilise les couches moyennes et les franges précarisées de la classe ouvrière. Celles-ci cherchent alors à préserver leur statut en se retournant non pas contre ceux qui dominent, mais contre ceux d’en bas – selon la logique typique de l’extrême droite.

Dans ce contexte, le racisme devient un instrument politique utile : il divise le salariat, facilite l’ordre du capital, et alimente une hégémonie réactionnaire. Il n’en a pas toujours été ainsi. Il y a dix ans, une dynamique ascendante portait l’idée de « classes populaires », malgré ses limites. Mais plutôt que de bâtir une force sociale organisée, la gauche a choisi l’institutionnalisation au sein du PSOE, délaissant toute stratégie de long terme – notamment l’intégration politique des travailleurs immigrés. D’où notre impuissance actuelle.

Le progressisme a échoué

Le progressisme n’a pas su – ou voulu – défendre les travailleurs migrants. Le gouvernement, malgré ses discours, maintient une politique de répression : lois sur les étrangers, refus de leur régularisation, violences policières… Mais le problème va plus loin. Le progressisme, même bien intentionné, empêche souvent l’émergence d’une réponse qui soit à la hauteur.

Deux attitudes y sont fréquentes :

L’appel à l’État : face à la violence, beaucoup réclament plus de police, plus d’ordre. Cette « statolâtrie » traduit un espoir sincère de protection, mais occulte le rôle actif de l’État dans l’entretien du racisme. Policiers et juges participent à l’oppression, et réclamer leur intervention accrue revient souvent à aggraver le problème.

La défense utilitaire des migrants : on justifie leur présence par leur utilité économique (« Qui fera le sale boulot ? », « Qui paiera les retraites ? »). Derrière cette approche se cache une peur diffuse de la déchéance sociale. Elle reflète aussi, de façon déformée, une vérité : sans les travailleurs immigrés, le système capitaliste ne tiendrait pas le coup. Leur travail est vital – c’est ce que le marxisme appelle le « pouvoir stratégique ».

Faire d’une faiblesse une force

Or, le progressisme ne saisit pas cette puissance. Il réduit souvent le migrant à une victime, et non à un acteur. Il ignore que la classe ouvrière issue de l’immigration pourrait devenir une force centrale, comme l’a montré la grève d’El Ejido en 2000. Cela exige de dépasser la compassion pour construire un rapport de force réel.

Cette tâche est ardue. Les structures ouvrières sont faibles, désorganisées. Le prolétariat migrant lui-même est traversé par des divisions internes. Par exemple, les Latino-Américains, bien qu’exploités, bénéficient parfois d’une reconnaissance symbolique. Les Maghrébins, en revanche, sont marginalisés et cibles d’une islamophobie croissante. À cela s’ajoute une guerre idéologique : la complicité des États occidentaux avec le génocide du peuple palestinien contribue à déshumaniser les musulmans, préparant le terrain à leur brutalisation.

Les divisions territoriales en Espagne compliquent encore la situation : Murcie n’est pas Madrid. Pourtant, il est urgent de rompre avec l’attentisme. Le simple discours antiraciste ne suffit plus : il faut passer à l’action.

L’antiracisme de classe : un axe central de l’action politique

Cela implique la construction d’espaces militants larges et unifiés, capables de mobiliser l’ensemble du salariat. Les syndicats, partis et mouvements sociaux doivent jouer un rôle décisif – non en s’adressant à l’État, mais en agissant directement.

L’objectif : faire émerger une classe ouvrière réellement constituée, débarrassée des barrières racistes qui structurent notre ordre libéral. Cela suppose aussi d’écouter, d’apprendre, de rompre avec l’image du migrant comme « objet de politique ».

Seule l’action politique permettra de vaincre le racisme. Ni les sermons moraux ni les appels abstraits à la paix sociale n’y suffiront. Ce combat se jouera dans la lutte des classes, avec tout ce qu’elle implique de confrontation. Il façonnera les décennies à venir en Europe. Plus tôt nous le comprendrons, mieux nous pourrons nous y préparer.

* Notre traduction libre et nos intertitres d’après l’original espagnol paru sur le site en ligne Viento Sur.

Brais Fernández est un militant anticapitaliste, membre de la rédaction de Viento Sur.

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