Une bataille juste peut et doit être menée même si l’on est conscient qu’elle sera très probablement perdue dans l’immédiat. Mais il faudrait avoir une idée de la prochaine étape.« Notre objectif était d’atteindre le quorum pour changer des lois absurdes : nous ne l’avons pas atteint ». Contrairement aux différents dirigeants du centre gauche, le secrétaire de la CGIL, Maurizio Landini, a clairement admis la défaite des référendums lancés par son organisation. Une défaite d’ailleurs sans appel, compte tenu de l’écart de vingt points par rapport au quorum, qui aurait nécessité au moins dix millions de voix supplémentaires.
Les rodomontades du centre gauche
Pour le reste, la droite a interprété les 70 % d’abstention comme un triomphe, et les partis de centre gauche se sont attribué les 15 millions de votant.e.s, soulignant qu’ils représentaient plus que les 12,3 millions qui avaient voté pour la droite en 2022, amenant Giorgia Meloni au pouvoir. Ces déclarations ont omis de mentionner que, bien que 13 millions d’Italiens aient approuvé la réforme du marché du travail [en réponse à un référendum NDT], ce nombre tombe à environ 9 millions pour la question de la facilitation de l’acquisition de la nationalité italienne pour les résidents étrangers.
En réalité, nous vivons une époque qui montre que les relations entre les électeurs, les gouvernements et les forces politiques sont extrêmement instables, avec une opinion publique toujours en équilibre entre le reflux et la protestation. C’est pourquoi personne ne peut dormir sur ses deux oreilles, et encore moins penser avoir obtenu un consensus solide.
Le jeu truqué des référendums
Entendons-nous bien, compter les voix en termes absolus et non en pourcentage n’est pas seulement un exercice consolateur pour ceux qui ont perdu : dans une phase désormais longue de participation électorale en baisse, c’est la manière correcte d’analyser les données électorales et d’avoir une idée concrète de la signification politique du vote. Il serait également intéressant de connaître les caractéristiques sociales des électeurs·trices qui ont voté lors des dernières élections politiques, de celles et ceux qui se sont abstenus ou qui ont voté à droite et qui ont cette fois participé au vote. La défaite demeure poizrtant, même si le jeu est truqué.
Au cours des trois dernières décennies, c’est-à-dire depuis les consultations de 1995 sur les chaînes de télévision de Berlusconi, seul un référendum sur dix a atteint le quorum, celui de 2011 sur l’eau potable, pour lequel 54 % du corps électoral s’est rendu aux urnes. Neuf référendums sur dix ont échoué, ce qui montre à quel point le principal instrument de démocratie directe prévu par la constitution italienne est devenu une entreprise électorale presque impossible.
Une démocratie représentative en crise
Des élections politiques de 1996 à celles de 2022, la participation aux scrutins les plus importants a chuté de vingt points, passant de 82,5 % à 63,9 %, ce qui témoigne d’une fragilité démocratique et d’une crise du consensus qui semble sans fin. C’est précisément cette baisse croissante de la participation électorale qui a permis à ceux qui s’opposaient aux questions posées lors du dernier référendum de simplement se soustraire au débat politique, en se contentant d’accompagner la tendance désormais durable à l’abstention afin de faire échouer les référendums. Une stratégie qui, malgré les polémiques déclenchées par l’appel à l’abstention lancé par Ignazio La Russa et Giorgia Meloni, n’a pas été inventée par l’actuelle droite antidémocratique au pouvoir. Elle a même été utilisée à plusieurs reprises par le centre gauche, comme en témoigne le « ciaone » (bonjour et au revoir) de la campagne d’abstention du PD de Renzi lors du référendum sur les forages pétroliers en 2016.
Il s’agit d’un véritable détournement du principal instrument de la démocratie directe, alors même que la démocratie représentative est de plus en plus en crise. Pour redonner toute son efficacité démocratique au référendum, il faudrait mener une bataille pour réformer le seuil du quorum, par exemple en le recalculant sur la base de la participation aux dernières élections politiques, étant donné que le seuil de 50 % + 1 prévu par la Constitution avait été pensé à une époque où la participation aux élections politiques se situait autour de 90 %.
À cela s’ajoute le fait que, lors de la seule élection où le quorum a été atteint pour l’eau publique, le résultat a été complètement ignoré par tous les partis politiques pendant les quinze années suivantes, renforçant ainsi l’idée que voter ne sert à rien. C’est aussi pour cette raison que les salves sur les réseaux sociaux contre les personnes qui ne sont pas allées voter sont non seulement inefficaces, mais aussi lunaires : parce qu’elles individualisent – sur le mode moralisateur typique des réseaux sociaux – une question politique profonde.
La flexibilité du travail n’est plus défendue par personne
Malgré la défaite, ce référendum a toutefois révélé un fait frappant : personne, à part l’arrogant Matteo Renzi et quelques éditorialistes du Corriere della sera, ne semble plus avoir le courage de revendiquer les politiques de flexibilité du marché du travail. Sur la citoyenneté, il est vrai, comme le montrent également les résultats de ce référendum, la question est plus difficile.
La droite s’est complètement soustraite au débat sur le fond, et même dans les communes où se déroulaient les seconds tours et où les électeurs·trices de droite ont voté, le « oui » l’a clairement emporté. Les partis de centre gauche ont tenté de transformer une campagne référendaire sur une loi adoptée par le PD (le Jobs act) en une élection contre Giorgia Meloni, évitant ainsi une analyse et un véritable débat sur leur propre proposition politique en matière d’emploi au cours des dernières décennies.
Pourtant, depuis les années 90 jusqu’à récemment, ils nous ont dit, de manière bipartisane, que lutter contre les licenciements sans motif valable revenait à vouloir « mettre des jetons dans un iPhone », que, grâce à l’innovation technologique, le poste fixe n’existait plus, que la mobilité professionnelle créait de la richesse et qu’au fond, changer souvent de travail était amusant. Un discours dont les héritiers de l’ancien PCI, convertis au libéralisme, étaient les interprètes les plus zélés et les plus enthousiastes.
Aujourd’hui, tout le monde semble conscient de la crise de consensus des politiques de flexibilité du marché du travail, c’est pourquoi, même face au référendum, ils ont essayé de parler d’autre chose. Le problème est que personne ne semble avoir la force de les changer.
Est-il juste de mener un combat que l’on sait perdu d’avance ?
Même la CGIL n’a pas eu cette force et se trouve aujourd’hui confrontée au risque d’une nouvelle démoralisation. D’ailleurs, comme nous l’avons analysé dans le dernier numéro de Jacobin Italia, bien que nous soyons dans un pays avec un taux de syndicalisation élevé et que la CGIL compte 5 millions de membres, l’Italie est le seul pays européen où les salaires réels ont baissé au cours des trente dernières années. Le problème de la force réside donc aussi dans la manière dont on fait du syndicalisme.
Au sein même de la CGIL, il y a eu un débat sur l’opportunité de mener une bataille référendaire sachant que le quorum serait presque impossible à atteindre ; une conviction renforcée après que la Cour constitutionnelle a rejeté le référendum sur l’autonomie différenciée [la « sécession des riches »] qui aurait certainement stimulé la participation au vote. Cependant l’idée de se jeter à l’eau pour tenter de faire bouger les lignes dans les luttes sociales a prévalu.
Mais comment sortir d’une énième défaite ? Les partis de centre gauche et la CGIL elle-même invitent à repartir des 13 millions de voix recueillies pour le « oui ». Une pétition semblable à celle de Fausto Bertinotti, après le référendum de 2003 sur l’article 18 du Statut des travailleurs [visant à étendre la protection contre les licenciements abusifs, y compris aux salarié·e·s d’entreprises de moins de 15 employés, NDT], qui avait recueilli environ 26 % des voix. Cela n’avait pas très bien fonctionné, puisque ce référendum avait d’abord mis fin à deux années de luttes, qui avaient commencé avec le G8 de Gênes, et ensuite mis fin à la gauche radicale, qui a quitté le Parlement en 2008 après sa participation désastreuse au deuxième gouvernement Prodi, et qui est depuis lors devenue de plus en plus marginale dans la société.
Relancer les mobilisations sur le terrain
Il y a cependant une différence : si, à l’époque, la proposition référendaire visait à rassembler les mouvements sociaux des deux années précédentes et à défier le centre gauche lui-même (y compris la CGIL) sur sa gauche, cette fois-ci, l’idée du référendum est née précisément de la recherche d’une initiative pour réagir à l’immobilisme des mouvements et pour enraciner à gauche les forces du centre gauche. Cette dernière tentative semble en partie avoir réussi.
Pour repartir véritablement de ces 13 millions de voix, il faudrait une stratégie visant à relancer leur mobilisation, sur les lieux de travail et d’étude, sur les places et les quartiers. Mais combien de comités la campagne référendaire a-t-elle permis de constituer dans les villes et sur les lieux de travail ?
La bataille pour l’eau était le fruit d’une mobilisation née quelques années auparavant et qui a atteint son apogée au cours des deux années de collecte de signatures, puis de campagne pour le vote, créant des centaines de comités dans tout le pays et une structure nationale organisée, même si celle-ci n’a pas été en mesure de résister longtemps au cours des années suivantes.
La campagne référendaire des 8 et 9 juin a certainement réussi à créer un consensus et à mobiliser, mais cela semble s’être principalement joué sur les réseaux sociaux, avec des moyens moins coûteux en termes d’engagement, plus individualistes et beaucoup plus à court terme que la construction de structures collectives organisées. Ce sont d’ailleurs les modalités typiques de cette phase qu’Anton Jäger qualifie d’hyperpolitique, dans laquelle la société semble se repolitiser par rapport à la phase post-politique de la « pensée unique » libérale des années 90 et aussi par rapport à la phase antipolitique des années 2010. Mais c’est une repolitisation qui se produit dans une société qui reste désorganisée. Qui s’est repolitisée, mais ne s’est pas resocialisée.
Passer de l’hyperpolitique à l’organisation collective et à l’action
Si les luttes ne cristallisent pas une force organisée capable d’agir dès le lendemain, aucun nouvel instrument ne peut être créé pour modifier les rapports de force. Une lutte juste peut et doit être menée même si l’on est conscient qu’elle sera très probablement battue dans l’immédiat. Mais il faut avoir une idée de la prochaine étape. Et mis à part l’appel d’Elly Schlein aux prochaines élections politiques, les idées sur la prochaine étape semblent encore trop vagues.
La plus grande difficulté de cette époque politique, que personne ne parvient à affronter jusqu’au bout, est le décalage entre les explosions de mobilisations électorales ou de rue et l’accumulation de forces organisées. Un fossé que l’on observe au niveau international, mais qui semble encore plus grave et profond dans notre pays. C’est un nœud qui n’est pas encore complètement reconnu, même dans les milieux de la gauche radicale, où l’illusion d’un raccourci continue de prévaloir : celle qu’un seul geste puisse inverser la tendance. D’où le célèbre slogan « Que la gauche reparte de… ».
L’hyperpolitique, écrit Jäger, est comme « un patient dépressif qui sort de sa torpeur pour tomber dans l’hyperkinésie, sans jamais prendre au sérieux les symptômes précédents ». On peut repartir de ces 13 millions de « oui » pour essayer de changer les rapports de force, mais seulement si l’on garde toujours à l’esprit les symptômes précédents.
* Giulio Calella est le cofondateur et le président de la coopérative Edizioni Alegre. Il est le rédacteur en chef de Jacobin Italia. Article traduit par nos soins de l’original italien paru dans Jacobin.it, le 10 juin 2025