USA : Les friches industrielles plébiscitent une politique de gauche

par | Oct 19, 2025 | États-Unis, International, Lutte des classes, Luttes sociales, Non classé

Une nouvelle enquête exhaustive menée par le Center for Working-Class Politics et ses partenaires révèle qu’une politique économique en faveur du monde du travail trouve un écho favorable dans l’Ohio, le Michigan, le Wisconsin et la Pennsylvanie et que les candidat·es indépendants obtiennent de meilleurs résultats que les démocrates qui véhiculeraient le même message.

Les inégalités aux États-Unis n’ont jamais été aussi importantes depuis le début du XXe siècle. La prospérité généralisée de l’après-guerre a cédé la place à la désindustrialisation, aux licenciements massifs et à l’érosion des syndicats, accélérée par les allégements fiscaux accordés aux riches et la déréglementation financière.

Depuis que le Parti démocrate a adopté bon nombre des politiques à l’origine de ces tendances, les électeurs·trices de la classe travailleuse se sont progressivement détournés de ce parti qu’ils estiment les avoir abandonnés. Cet exode a été particulièrement préjudiciable dans les comtés de la Rust Belt (ceinture de rouille), dans des États comme l’Ohio, la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin, qui ont subi des décennies de fermetures d’usines, de stagnation des salaires et de négligence de la part des élites.

 

 

 

 

Une enquête d’opinion

Une nouvelle étude menée par le Center for Working-Class Politics (CWCP), le Labor Institute, le Labor Education Action Research Network (LEARN) et Jacobin, en partenariat avec YouGov, se demande si une politique économique populaire plus incisive et axée sur les questions quotidiennes de la part des progressistes pourrait reconnecter les électeurs·trices mécontents de la Rust Belt. L’étude a interrogé 3 000 électeurs·trices en Pennsylvanie, au Michigan, en Ohio et au Wisconsin.

Elle comprend une série d’essais contrôlés randomisés (ECR) visant à tester l’impact de différents types de messages économiques populaires. Une attention spécifique a été accordée à une politique particulièrement importante dans les régions désindustrialisées : l’interdiction des licenciements collectifs économiques dans les entreprises qui reçoivent des fonds publics. Les essais ont également cherché à déterminer si l’efficacité de ces messages variait selon que les candidat·es se présentaient sous la bannière démocrate ou indépendante.

L’enquête comprenait des questions ouvertes sur l’opinion des répondants à l’égard du Parti démocrate. Celles-ci ont été analysées afin de comprendre les principaux facteurs à l’origine de l’attitude négative des électeurs·trices de la Rust Belt à l’égard de ce parti.

Un autre questionnaire (ECR) a examiné le potentiel politique d’une initiative électorale non partisane sur les licenciements collectifs et la responsabilité des entreprises. Cela a permis à l’étude de tester si une telle initiative pourrait contribuer à faire progresser une politique populaire au-delà du clivage traditionnel entre les bleus et les rouges. Enfin, l’étude comprenait un test unique sur les préférences des électeurs et électrices de la Rust Belt en matière de politique économique. Les répondant·es devaient classer par ordre de priorité leur soutien à vingt-cinq propositions couvrant tout le spectre idéologique.

 

 

Les réponses des personnes sondées

 

1.  Une politique économique populaire forte [« strong populism » dans le texte anglais, NdT] bénéficie d’un soutien large et profond. Les messages économiques populaires ont obtenu un soutien net de +45 points (défini comme le pourcentage de répondant·es qui soutiennent moins ceux qui s’opposent). Les messages qui désignaient directement la cupidité des entreprises et ses élites économiques comme étant le problème ont surpassé l’alternative plus modérée, « populaire light », de plus de 11 points.

 

 

2. La marque du Parti démocrate est un handicap majeur. Dans les tests comparatifs, les candidat·es démocrates ont obtenu des résultats inférieurs de plus de 8 points à ceux de leurs homologues indépendant·es, même lorsqu’ils-elles délivraient exactement le même message économique populaire. Cette « pénalité démocrate » était la plus importante parmi les électeurs·trices de la classe travailleuse, les Latino-Américains, les ruraux et les indécis, et elle est plus que suffisante pour perdre des élections disputées dans toute la région. La pénalité était comprise entre 11 et 16 points dans le Michigan, l’Ohio et le Wisconsin. En revanche, nous n’avons pas observé une telle pénalité pour les candidat·es démocrates en Pennsylvanie.

 

 

3. La désillusion des électeurs·trices à l’égard des démocrates tient davantage à leur échec qu’à leur « extrémisme idéologique » [sur les questions sociétales, NdT]. Parmi les démocrates, les indépendants et les républicains, nombreux sont ceux et celles qui ont décrit le parti démocrate comme corrompu, déconnecté de la réalité, peu disposé à se battre pour les travailleursªeuses et ne représentant pas les intérêts de ces derniers. Si certaines de ces critiques ont débouché sur des affirmations plus générales selon lesquelles les démocrates se concentrent sur de mauvaises priorités, seule une petite minorité a cité le « wokisme » ou l’extrémisme (3 % des démocrates, 11 % des indépendants et 19 % des républicains).

 

4. Les politiques économiques les plus populaires sont audacieuses, tangibles et fondées sur l’équité — et peuvent unir les électeurs·trices au-delà des clivages sociaux et partisans. Parmi les vingt-cinq propositions classées, les politiques qui réduisaient les coûts, limitaient les abus des entreprises et responsabilisaient les élites (plafonnement des prix des médicaments, imposition des riches et, même, mise en place d’une garantie fédérale de l’emploi) ont systématiquement obtenu les meilleurs résultats. Le soutien à bon nombre de ces politiques transcende les divisions idéologiques et de classe, soulignant le potentiel d’une politique économique populaire pour construire les larges coalitions dont les progressistes ont besoin pour gagner.

5. Même une proposition peu familière et ambitieuse visant à interdire les licenciements collectifs par les entrepreneurs fédéraux bénéficie d’un fort soutien. Une nouvelle proposition visant à empêcher les grandes entreprises qui reçoivent de l’argent des contribuables de procéder à des licenciements a été l’une des mesures les plus populaires testées, bien qu’elle soit inconnue des électeurs·trices. Une simulation distincte d’initiative référendaire a montré que cette mesure conservait un fort soutien net, même lorsqu’elle était la cible de messages d’opposition de la part des entreprises, en particulier lorsqu’elle était associée à des réfutations de la part des partisans de l’initiative.

6. Une politique populaire indépendante pourrait offrir une voie crédible pour l’avenir. Dans les quatre États de la Rust Belt que nous avons étudiés, 57 % des personnes interrogées se sont déclarées favorables à la création d’une nouvelle association politique indépendante des travailleurs (IWPA), avec un enthousiasme particulièrement marqué chez les électeurs·trices non diplômés, les locataires, les électeurs·trices de couleur et les personnes en situation de précarité économique. L’idée d’une IWPA a également recueilli un soutien important de la part des républicains et des indépendants, ce qui suggère une opportunité de réalignement fondée sur une politique économique populaire.

 

 

 

* La version originale de cet article en anglais américain est parue dans Jacobin du 6 octobre 2025, signée par sa rédaction. Notre traduction en français.

Vous pouvez lire le rapport complet ici.

 

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