Qui a tué Charlie Kirk ? L’extrême droite MAGA et ses recoins les plus obscurs

par | Sep 27, 2025 | États-Unis, Extrême droite, International, Politique

L’assassin présumé de Charlie Kirk, Tyler Robinson, comme beaucoup d’autres avant lui, est le produit final d’une machine de propagande de longue durée, coûteuse et sophistiquée. Pour comprendre d’où surgissent des figures comme la sienne, il faut remonter dans le temps. Tout a commencé avec Steve Bannon en 2005, lorsque le gourou de l’extrême droite numérique et ancien conseiller de Donald Trump investissait dans une société de jeux vidéo, Internet Gaming Entertainment.

Le monde virtuel qui a donné naissance à Kirk

L’entreprise a fini par faire faillite, mais à cette époque, il avait compris qu’il existait une « armée » cachée de jeunes hommes en colère, sans boussole, qui s’ennuyaient. Il a alors envisagé de les instrumentaliser en construisant son propre bataillon de trolls en ligne dans le but d’augmenter leur influence au point de pouvoir peser sur les élections. 

Trolls et fermes à trolls

En anglais, to troll appartient au vocabulaire de la pêche — cela signifie jeter un appât. Il s’agit ainsi d’appâter des internautes par des propos agressifs ou ironiques, cela pouvant être organisé à une échelle de masse par un groupe de personnes ou des logiciels automatisés, afin de diffuser une information trompeuse.

Bannon a ensuite lancé une société de gold farming pour World of Warcraft et, en fréquentant cet univers de MMORPG [Massively Multiplayer Online Role-Playing Game, Jeux de rôle multijoueur de masse] (qui comptait alors quelque 13 millions de joueurs, dont moi).

Les MMORPG (Massively Multiplayer Online Role-Playing)

Les jeux de rôle multijoueur de masse (MMORPG) se déroulent dans des mondes persistants, comme Warcraft, où l’on peut se connecter à tout moment et interagir avec d’autres joueurs. Ces jeux peuvent parfois favoriser des formes de prosélytisme qui dépassent le simple cadre des interactions ludiques.

Le gold farming

Des personnes (les gold farmers) passent beaucoup de temps à répéter des actions simples (tuer des monstres, etc.) dans des jeux vidéo qui impliquent des centaines de milliers de participants pour amasser des ressources virtuelles qu’ils revendent pour de l’argent à des joueurs qui entendent avancer plus vite. Les vendeurs vivent souvent dans les pays à bas revenus (ils sont souvent employés par des entreprises), tandis que les acheteurs vivent dans des pays à revenus élevés.

Il a alors découvert qu’il existait des moyens très efficaces d’embrigader ses abonnés. Que la droite ait depuis longtemps compris le potentiel de recrutement offert par le monde du jeu vidéo, tandis qu’en face on n’a pas la moindre idée de ce qui se trame, je l’avais écrit  à une époque où personne ne voulait encore l’entendre.

En 2012, Bannon s’est allié à Milo Yiannopoulos (polémiste britannique d’extrême droite, né en 1984), lui confiant les rênes du site conservateur Breitbart [fondé en 2007 par Andrey Breitbart (1969-2012), NDT]. Yiannopoulos était essentiellement un troll de grande envergure, doté d’un talent certain pour établir un lien direct avec ces jeunes hommes. Il avait compris que les pousser directement vers la politique ne donnerait aucun résultat. La stratégie consistait à les manipuler lentement en jouant sur leurs frustrations. Concrètement, il leur disait : 

« Écoute, tu es un raté qui vit dans le sous-sol de ta mère, les filles ne veulent pas de toi et tu n’arrives pas à trouver de petite amie. Mais ce n’est pas ta faute. Tu sais à qui revient la faute ? Aux féministes, aux social justice warriors, aux progressistes, au politiquement correct, à la guerre culturelle “woke” ».

Mais, selon Bannon [qui a repris le site de Breitbart, après sa mort, apparemment d’une crise cardiaque en 2012, NDT], « La différence, c’est qu’Andrew [Breitbart] avait un univers moral très solide, tandis que Milo était un nihiliste amoral. » Nous reviendrons sur ce nihilisme.

L’entrée en scène de Charlie Kirk

Cet immense bataillon de jeunes en colère s’est donc trouvé un ennemi commun : les familles racisées dans les publicités, les femmes devenant développeuses de jeux vidéo, les personnes LGBTQ+ dans les jeux et les séries télévisées, la body positivity, les Asiatiques et les Afro-Américains dans Star Wars, et ainsi de suite. C’est à ce moment-là qu’est apparu Trump. Inutile de rappeler ce qui s’est passé ensuite. Ce qui importe, c’est que ces jeunes, pour la première fois, sont devenus politiquement et culturellement visibles.

Yiannopoulos et les siens n’ont pas tenu longtemps : trop extrêmes et, au fond, trop narcissiques pour se contrôler eux-mêmes. C’est alors qu’est arrivé Charlie Kirk, le « bon garçon qui souriait toujours », pour dire exactement les mêmes choses, mais en se présentant comme un débatteur ouvert à tous et un défenseur de la liberté d’expression. En réalité, Kirk choisissait avec soin des interlocuteurs peu préparés et fuyait face à des adversaires plus sérieux. Il allait jusqu’à établir des listes noires publiques d’enseignants jugés trop progressistes, afin de faciliter leur harcèlement par ses partisans — mais c’est là une autre histoire.

Avec lui, le mouvement MAGA s’était remis du déclin de crédibilité politique que des scandales comme le GamerGateavaient provoqué (une fois de plus, le gaming et les très jeunes étaient au centre.

Le Gamer Gate

Ce mouvement, apparu en 2014, est surtout connu pour son harcèlement sexiste dans l’industrie du jeu vidéo. Il s’est nourri de la réaction à des critiques formulées en ligne par des femmes, devenant un point de ralliement pour ceux qui dénonçaient ce qu’ils considéraient comme « l’envahissement de leur terrain de jeu » par des femmes prétendant avoir voix au chapitre.

Kirk était tellement attentif à l’image, qu’au départ, il n’aimait pas du tout Trump et préférait des figures comme Marco Rubio ou Ted Cruz, mais il a dû finalement se plier face à la victoire écrasante du tycoon, mettant son style de chrétien fervent au service de l’agenda orange.

Une fois la créature libérée…

Une fois le monstre de Frankenstein libéré, il est difficile de revenir en arrière. Et c’est exactement ce qui s’est produit avec cette frange du conservatisme américain, appelée les Groypers (j’y reviendrai plus tard). Beaucoup de membres originels de l’armée de trolls de Bannon sont devenus des partisans MAGA, profondément loyaux envers Trump. Toutefois, la nouvelle génération, fruit direct du travail de Yiannopoulos — des jeunes comme Tyler [l’assassin présumé de Kirk, NDT] — était différente.

Les Groypers

Les Groypers sont un groupe d’extrême droite en ligne, réuni autour de Nick Fuentes [né en 1998]. Leur nom vient d’un personnage de dessin animé, un Pepe the Frog détourné. Ils organisent des campagnes de trolling contre les progressistes de tous bords et certains conservateurs jugés « trop mous ». Leur discours est antisémite, islamophobe, antiféministe et raciste, et ils s’en prennent activement à leurs cibles en ligne.

Ils ne pouvaient pas être contrôlés de la même manière, car leur loyauté ne concernait pas un politicien. Certes, ils appréciaient Trump, mais surtout lorsqu’il les amusait ou lorsqu’il s’attaquait à leurs propres ennemis. En réalité, cela leur importait peu. Et c’est sur ce point que repose leur idéologie : un cadre de valeurs fondé sur le nihilisme, perçu comme une radicalisation de la « redpill », que l’on appelle, mot à mot, la «blackpill».

Red pill, blue pill ou black pill…

La référence à cette pilulevient du film Matrix. À un moment, Keanu Reeves doit choisir entre la pilule rouge (prise de conscience) et la pilule bleue (rester dans le monde illusoire). La pilule noire en est une variante pessimiste : non seulement la vérité est cachée, mais il n’y a aucune issue. Cette idée de fatalisme et de désespoir se retrouve chez lesIncels [célibataires involontaires, NDT], pour qui la relation amoureuse est considérée comme intrinsèquement impossible.

L’idée de base de leur mouvement est simple : « à quoi ça sert ? La vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Créons le chaos, juste pour rigoler ». Ces jeunes sont extrêmes, au vrai sens du terme. Ils détestent des figures comme Charlie Kirk, parce que, à leurs yeux, il n’est pas assez radical et qu’il a volé l’espace médiatique de leurs idoles. C’est un imitateur, un vendu, un imposteur. Si vous avez déjà entendu parler de Nick Fuentes — l’héritier direct et encore plus radical de Yiannopoulos (c’est lui, pour le situer, qui a créé le slogan «your body, my choice » (ton corps, mon choix) — vous savez que la propagande qu’il diffuse est extrêmement violente et dangereuse. Et pour eux, cela ne pose aucun problème.

Tyler n’était affilié à aucun parti, n’a jamais voté, et beaucoup de ces jeunes ne le font pas non plus. Cela explique pourquoi les médias traditionnels peinent autant à comprendre et à expliquer ce qui s’est passé et quel était le mobile du meurtre : en réalité, il n’y en avait pas de précis. C’est pour cela que l’on voit des « boomers » désespérés, partisans de MAGA ou non, commenter partout en essayant de dire : « Eh bien, ce doit sûrement être un Antifa », parce qu’ils ne comprennent pas la blague, comme le disait le Comique dans Watchmen. Et pour ces jeunes, la blague est la seule chose qui compte. Tout n’est qu’un jeu, un prank.

Watchmen, roman graphique Alan Moore et Dave Gibbons, 1986-1987

Watchmen se déroule dans une version alternative des années 1980, où les superhéros existent, mais sont pour la plupart retirés ou interdits par le gouvernement. L’intrigue débute avec l’assassinat d’un ancien superhéros violent et cynique, Le Comédien, ce qui déclenche une enquête de Rorschach, un justicier masqué, et entraîne la révélation deconspirations complexes et de secrets dangereux.

Le mobile de l’assassin…

Il est fort probable que Tyler Robinson, s’il est reconnu coupable, ait agi seul, juste pour amuser ses amis sur 4chan. Il n’y a rien de plus profond que cela. Risquer la peine de mort pour un « lol » ? On devient une légende. De cette façon, on crée un sens dans « l’absence de sens » de manière définitive. Ce serait de l’existentialisme performatif, une forme de néo-dadaïsme, si seulement ces jeunes avaient été initiés à ce genre de réflexion, ce qui n’est absolument pas le cas.

4chan

C’est un forum anonyme en ligne, apparu au début des années 2000, caractérisé par l’absence de modération. Basé sur des images, il est connu pour ses mèmes, sa culture provocatrice, mais aussi pour ses contenus souvent choquants ou polémiques. Son objectif était de provoquer des réactions pour maximiser la visibilité des publications, cette dernière étant directement liée à l’adhésion ou à la réaction suscitée. La communauté y a développé des normes sociales propres, valorisant certaines formes de discours extrêmes. De nombreux mèmes sont nés sur cette plateforme, qui a contribué à forger une partie de la culture sous-terraine d’internet.

Voyons maintenant quelques détails :

  1. La cartouche qui a mis fin à la vie de Charlie Kirk était gravée d’un mème de 2013, « Notices Bulge, OwO What’s This », qui se moquait des furries [Il s’agit d’une communauté en ligne, dont les membres utilisent des avatars d’animaux en peluche et partagent leur passion pour les animaux anthropomorphes, parfois avec des explorations à caractère sexuel, NDT]
  2. Une autre, portant l’inscription « Hey fascist, catch! », fait référence au jeu vidéo Helldivers 2, où l’on incarne un soldat au service d’une fausse démocratie hyper-militarisée (une satire multicouche du déjà satirique Starship Troopersde Paul Verhoeven) et à une attaque aérienne que l’on peut lancer sur ses ennemis en entrant la séquence de commandes « haut, droite, bas, bas, bas » (appelée stratagem). Cette séquence est devenue un mème sur 4chan, utilisé pour clore une discussion ou signifier « si tu sais, tu sais ».

Helldiver 2

Jeu vidéo sorti en août 2025 qui se déroule dans un univers dystopique où des joueurs, armés jusqu’aux dents, débarquent sur une planète pour massacrer des insectes. Ce jeu extrêmement violent affiche comme prétexte la « défense de la démocratie et de la liberté » et s’inspire du film Starship Troopers de Paul Verhoeven (1997).

  1. Une autre cartouche fait référence à « Bella Ciao », notre hymne antifasciste, très populaire en ligne de manière transversale (il a aussi été utilisé dans le jeu vidéo Far Cry 6 et dans la série La Casa de Papel).
  2. Enfin, la quatrième et dernière cartouche portait l’inscription : « si tu lis ceci, tu es gay, LOL ».

Tout cela laisse voir une chose importante : ce meurtre a été fondamentalement un shitpost.

Shitpost

C’est un message provocateur destiné à choquer et faire rire. C’est une sorte de grenade textuelle qui vise à faire exploser la discussion, comme le suggère son nom : un petit message volontairement merdique.

C’est la seule manière de l’analyser. Il a été conçu pour être le plus perturbant et incompréhensible possible, dissimulé sous des couches et des couches d’ironie, véhiculées par des mèmes abscons, de sorte que personne ne puisse vraiment comprendre son intention, à moins d’être « des leurs ».

Il exprime un type de nihilisme qui fonctionne très bien sur les forums d’images et les serveurs Discord où ce jeune homme a passé la majeure partie de sa vie. Et je dis la majeure partie de sa vie, car le mème que j’ai évoqué sur lesfurries date de 2013. Il avait donc 10 ans lorsque ce mème a été publié pour la première fois. Lui, comme beaucoup de ses pairs, a grandi au contact de cette partie d’internet qui, suivant l’agenda de Bannon, a influencé une grande partie de la politique américaine et désormais aussi la nôtre, puisque nous avons au pouvoir certains de ses proxies.

De la haine à la guerre totale

La moitié de l’actuelle administration Trump est composée de « content creators » travaillant dans les bureaux des membres républicains du Congrès, dans divers départements exécutifs — ces fameux jeunes de dix-neuf ans, qu’Elon Musk a appelés pour le DOGE. Ce sont tous des jeunes qui, en 2013, étaient sur 4chan à se moquer de ce mème.

La question que tout le monde se pose maintenant est la suivante : ce jeune était-il vraiment un Groyper ? Le nom « Groyper » vient d’une variante du mème Pepe the Frog apparue vers la fin de 2010, et ces jeunes l’ont adopté comme une sorte d’autoportrait collectif.

Pepe the Frog

Créé en 2005, il s’agit d’un personnage de bande dessinée représentant une grenouille anthropomorphique. Devenu un mème populaire sur internet, il a ensuite été détourné pour devenir un symbole de l’extrême droite.

 

Il y a eu la Guerre des Groypers en 2019, au cours de laquelle Nick Fuentes et ses partisans ont trollé Charlie Kirk et Turning Point USA, se présentant à leurs débats et posant des questions qui poussaient Kirk à dire des choses encore plus extrêmes que celles qu’il exprimait déjà. Dans la playlist publique Spotify Groyper War — America First, on trouve un remix de Bella Ciao.

Il y a un mois, ils ont diffusé une vidéo générée par IA (aujourd’hui retirée), intitulée Groyper War 2, pour annoncer leur retour à l’action. Quelques jours plus tard, Tyler Robinson aurait tiré sur Charlie Kirk. Et, encore après, un jeune de dix-neuf ans portant un t-shirt similaire à celui de Robinson, le jour de l’attentat, a vandalisé le mémorial dédié à Kirk.

Mais, au-delà des indices sur le mobile et les actions présumées de Robinson, le cœur de tout cela reste la figure d’un jeune homme seul, plongé dans un paysage désolé et triste, cette culture blackpill qui dépasse la simple haine des femmes et des progressistes pour se transformer en guerre totale.

Et c’est cette partie de l’histoire dont j’aimerais que l’on parle davantage. Ce qui alimente notre violence politique, ce ne sont pas seulement la polarisation ou les algorithmes qui nourrissent les echo chambers numériques. Comme le montrent plusieurs analyses sur l’extrémisme en ligne, c’est plutôt ce que ces mèmes représentent : l’idée que l’on sera toujours seul, que l’on n’aura jamais d’avenir et jamais de voix.

Echo chambers

Les echo chambers sont des environnements en ligne où seules certaines informations circulent, renforçant les opinions existantes et limitant la confrontation avec des points de vue divergents.

Et cette sensation, loin d’être rare dans notre société, entre en résonance avec un ensemble précis de circonstances : cette tradition nihiliste en ligne,vieille de près de vingt ans, la facilité d’accès aux armes à feu aux États-Unis, l’appauvrissement de toutes les classes sociales à l’exception des super-riches, et l’inégalité croissante dans tous les domaines, y compris à l’intérieur même des classes sociales (par exemple, j’ai récemment découvert l’existence de personnes transgenres conservatrices, évidemment toutes blanches et aisées, qui détestaient le reste de leur communauté en reprenant le langage TERF [Trans-Exclusionary Radical Feminist (féministe radicale excluant les personnes trans)].

Ce sentiment de tension et de volatilité qui flotte dans l’air engendre des actions comme celle prêtée à Tyler Robinson. Qu’il se soit identifié comme un Groyper ou non devient de moins en moins pertinent à mesure que l’on s’enfonce dans cette niche du réseau. Et nous en verrons de plus en plus, à moins que ses causes profondes ne soient traitées.

Tyler ne serait pas le premier à agir de cette manière. Robin Westman, une femme trans de 23 ans, a ouvert le feu dans une école en août. Là encore, les cartouches étaient remplies de citations de mèmes et de références à d’autres fusillades scolaires. Brenton Tarrant, tristement célèbre pour le massacre dans les mosquées de Christchurch en Nouvelle-Zélande, en 2019, avait écrit en ligne : « Bien les gars, il est temps d’arrêter le shitposting et de passer à un post engagé dans la vie réelle. » Tout cela, avant l’attentat.

Alors que Tyler Robinson aurait tiré sur Kirk, un adolescent néonazi radicalisé de seize ans, Desmond Holly, dans le Colorado, ouvrait le feu sur ses camarades de classe avec un revolver avant de se suicider (sans autre victime que lui-même). Sur son profil TikTok, on trouvait des citations d’autres fusillades scolaires, comme s’il cherchait à créer une sorte de school shooting culture dans les recoins les plus sombres du web américain. Aucun d’entre eux ne sera le dernier. Il existe toute une génération de jeunes empoisonnés par cette radicalisation.

Une armée de fantômes potentiellement criminels

Mettons les choses au clair toutefois : ces mécanismes sont tortueux, stratifiés, et le fait qu’à plus d’une semaine de l’événement on ne sache encore presque rien du mobile ou des dynamiques est assez révélateur de l’inadéquation relative des enquêteurs à suivre ce type de cas, sans parler du fait que certains sont politiquement motivés.

Le gouverneur de l’Utah avait, dès le premier jour, évoqué la piste Antifa, avant d’être contredit par l’absence totale de liens de Robinson avec ce milieu politique. Les déclarations présumées sur une radicalisation à gauche du jeune homme ont été démenties par sa propre famille, dont les interviews circulant dans les médias se sont révélées fausses ou manipulées.

On sait encore très peu de choses sur un prétendu compagnon/colocataire trans qui aurait motivé la haine de Robinson envers Kirk, à part le nom : Lance Twiggs. Il n’est même pas confirmé qu’il s’agisse réellement d’une personne trans. Compte tenu du chevauchement récent entre les sous-cultures femboy, incel et particulièrement Groyper, toutes les hypothèses restent pour l’instant ouvertes.

Des transcriptions de chats entre les Robinson et Twiggs ont même émergé, mais elles semblent tellement fausses qu’elles sont en train de devenir du matériel pour des contenus et des reels comiques sur les réseaux sociaux américains.

Les seules sources dont nous disposons restent le gouverneur de l’Utah, qui s’est montré peu fiable dès le départ (au point que The Guardian a dû rétracter ses déclarations initiales, et le FBI, dirigé par Kash Patel — ceux-là mêmes qui avaient pris la marque des cartouches « TRN » pour un slogan de la communauté trans. Le tout sous la direction d’un homme considéré comme l’un des officiers les plus incompétents nommés par Trump.

Entre-temps, quelques heures seulement après la diffusion des transcriptions de ces prétendus chats, Jimmy Kimmel a déclaré dans son émission The Jimmy Kimmel Live ! que « les MAGA font tout pour présenter Robinson comme quelqu’un de différent d’eux ». L’émission a été immédiatement suspendue indéfiniment.

Nous n’en saurons probablement pas beaucoup plus avant un certain temps, et ce sera sans doute le procès qui permettra d’éclaircir de nombreux points. La seule certitude demeure celle d’un jeune homme ayant grandi dans la solitude, les cultures extrémistes en ligne et le culte des armes. Tyler Robinson n’est qu’un parmi tant d’autres, mais il est aussi le seul sur lequel la propagande conservatrice concentre son attention, car il peut être utilisé pour alimenter leurs narratifs (comme l’a qualifié Panorama : « militant woke », pour illustrer un nouveau niveau de mythomanie). Le reste de la violence des extrémistes de droite aux États-Unis, depuis les années 1990 jusqu’à aujourd’hui, disparaît progressivement des canaux officiels.

Alors, quelle est la solution ? Honnêtement, je ne sais pas. C’est un problème très sérieux, qui dure depuis deux décennies, et que personne ne veut vraiment affronter, parce que ces jeunes sont toujours en ligne, génèrent de l’engagement et représentent de l’argent pour leurs créateurs de référence. Et même lorsqu’ils ne votent pas, ils produisent la meilleure campagne électorale possible pour ceux qui ont intérêt à maintenir le statu quo.

Il y a toutefois un point sur lequel réfléchir : l’une des principales caractéristiques des dérives incel/redpill/blackpill est l’isolement familial.

Devons-nous demander aux familles — toutes les familles, mais en particulier les plus conservatrices — d’arrêter de débiter des stupidités sur les crucifix dans les écoles, sur le droit à la légitime défense, sur le service militaire obligatoire, sur les prétendues invasions de migrants ou sur l’usage du taser, afin de se responsabiliser pour qu’ils élèvent des individus équilibrés, qui ne soient pas dominés par la souffrance à tel point qu’ils ont la gâchette ou le couteau facile ?

Ou arriverons-nous à créer un système de welfare capable de répondre à ces problématiques spécifiques en reconnaissant que des facteurs comme l’éducation, l’emploi, l’apprentissage émotionnel et la confiance en l’avenir jouent un rôle clé pour désamorcer l’extrémisme violent ?

La série Adolescence a remporté huit Emmy Awards il y a quelques jours. Faites-vous ce cadeau et regardez-la pour comprendre, ne serait-ce qu’un peu, le phénomène, la banalité de la naissance du mal, même dans des environnements « normaux ». Car, ceux qui se trouvent dans la partie du spectre politique qui aurait intérêt à lutter contre ces phénomènes, semblent jusqu’ici manquer de la force et de la volonté nécessaires pour y faire face.

* Article paru le 20 septembre sur Valigia Blu et traduit de l’italien par notre rédaction ; les intertitres et les commentaires en italique sont aussi de notre cru.

L’auteur se présente comme freelancer. Consultant en communication, médias sociaux, SEO et e-commerce. Graphiste, web designer, maquettiste, créateur de couvertures et suffisamment immergé dans tout ce qui touche à Internet. Passionné de narration, d’arts visuels et de cinéma d’action. Nerd. Gamer.

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