Dans les mois à venir, nous devrons nous positionner sur l’initiative de l’UDC [parti d’extrême droite suisse, NDR] sur la neutralité, qui prétend œuvrer pour la paix et défendre le rôle de médiation de la Suisse dans les conflits internationaux.
En réalité, cette initiative cache une offensive militariste de la droite conservatrice, tout en renforçant par là-même l’un des piliers de l’impérialisme suisse. Le lancement, par le POP [Parti communiste dans le canton de Vaud, en Suisse, NDR], d’un comité « de gauche » en faveur de cette initiative nous invite à clarifier les raisons pour lesquelles cette initiative est fondamentalement incompatible avec un positionnement anticapitaliste, anti-impérialiste et féministe.
L’alternative formulée par Rosa Luxemburg en 1915, « Socialisme ou barbarie », n’a jamais été aussi brûlante d’actualité. Aux fléaux de la misère, de la guerre, du néocolonialisme, du racisme et de l’autoritarisme s’en ajoute aujourd’hui un autre, qui menace la survie l’humanité tout entière : la catastrophe environnementale en cours, produit d’une course effrénée au profit par le capital.
Défendre un internationalisme par le bas
Force est de constater que la crise d’hégémonie des partis traditionnels des classes dirigeantes – liée à l’échec du capitalisme à répondre aux catastrophes qu’il a lui-même engendrées – a ouvert la voie aux extrêmes droites racistes, sexistes, LGBTQIA+phobes et climato-négationnistes. Leur influence croissante pose l’hypothèse d’une nouvelle forme de fascisme, ou d’une nouvelle phase autoritaire du capitalisme.
Les guerres impérialistes d’aujourd’hui révèlent toute la brutalité de ce système. L’agression de la Russie contre l’Ukraine, comme le génocide mené contre le peuple palestinien à Gaza sont le produit d’une nouvelle ère de rivalités entre grandes puissances. Ce retour des guerres de destruction totale sert en même temps de prétexte aux classes dirigeantes pour relancer la course aux armements sur le dos de celles et ceux qui produisent toutes les richesses : en Europe comme ailleurs, les budgets militaires explosent, tandis que le salariat subit des politiques d’austérité toujours plus dures.
Dans certains milieux de gauche, les BRICS+ sont perçus comme une alternative à soutenir face à l’impérialisme américain, mais ils ne portent réalité aucun projet émancipateur. Les BRICS+ ne remettent pas en cause le mode de production capitaliste, mais cherchent à concurrencer les grandes puissances. Plusieurs de leurs membres reproduisent des logiques impérialistes ou sous-impérialistes, à l’image de la Chine, principal créancier de l’Afrique et acteur majeur du land grabbing, dont les investissements servent surtout l’expansion de ses intérêts commerciaux et financiers, ou d’autres États du groupe engagés dans l’accaparement des terres et l’extraction de matières premières sans bénéfice pour les populations locales.

Les BRICS+ ferment en outre les yeux sur les violences et les guerres menées par certains de leurs partenaires : silence sur l’agression russe en Ukraine, absence de sanctions à l’égard d’Israël devant le massacre à Gaza malgré des déclarations de soutien au peuple palestinien. Les BRICS préférant au contraire maintenir d’étroites relations commerciales avec ce pays plutôt que de les rompre. Enfin, loin de proposer une rupture avec le modèle capitaliste néolibéral, les BRICS participent activement à son renforcement en soutenant les institutions de Bretton Woods et l’OMC, en défendant le libre-échange et la libre circulation des capitaux, en rejetant explicitement les mesures protectionnistes, y compris lors qu’elles visent à protéger l’environnement. En la matière, ils préfèrent souscrire aux fausses solutions du capitalisme vert qui ne remettent pas en cause le mode de production capitaliste à l’origine de la destruction environnementale en cours.
En tant qu’internationalistes, nous rejetons toutes les formes d’impérialisme, qu’il vienne du Nord ou du Sud, de l’Ouest ou de l’Est. Nous nous opposons à la logique héritée de la Guerre froide, qui réduit la lutte anti-impérialiste à un affrontement entre le prétendu « camp socialiste » et celui de l’impérialisme américain. Nous défendons un internationalisme par le bas, fondé sur la solidarité entre les peuples et non sur les intérêts des États. Nous nous rangeons dans un seul camp : celui des peuples exploités et opprimés par tous les impérialismes, de l’Ukraine à la Palestine, en passant par le Kurdistan et le Congo. Nous nous rangeons dans le camp du salariat et de la petite paysannerie qui produit l’essentiel des richesses.
Cette posture implique d’une part de s’opposer à l’OTAN et à toute autre alliance militaire, de revendiquer la destruction de tous les arsenaux nucléaires, d’exiger la nationalisation et le contrôle public de toutes les industries d’armement, de lutter contre toute augmentation des budgets militaires ou dotation des armées en matériel, de résister pied à pied au militarisme. D’autre part, nous revendiquons le droit des peuples opprimés à se défendre, y compris par les armes, contre les puissances coloniales ou néocoloniales qui les agressent, la fin de l’occupation de leurs territoires et des politiques de nettoyage ethnique qui les visent. Ce sont les seules voies possibles pour une paix décoloniale juste et durable.
Que demande l’initiative et pourquoi le POP la soutient-elle?
L’initiative de l’UDC vise à instaurer, au niveau constitutionnel, une neutralité « perpétuelle et armée ». En d’autres termes, il s’agit de défendre une neutralité en tout temps en prétendant garantir le droit à l’autodéfense par le renforcement de l’institution militaire helvétique. Avec cette initiative, l’UDC entend assurer l’indépendance de la Suisse et renforcer son rôle comme médiateur des conflits internationaux. Autrement dit, œuvrer pour la paix. Ironiquement, l’initiative est activement portée par des personnalités particulièrement belliqueuses, comme le conseiller national Jean-Luc Addor, président de l’association Protell, dont le but est de défendre le port d’armes par la population [1] ! Addor avait d’ailleurs déjà déposé une initiative parlementaire à ce sujet en 2017.

L’UDC ne revendique pas seulement le droit de l’armée suisse à maintenir ses positions, mais demande ouvertement de la redoter en armes, munitions, véhicules, cyberdéfense… et troupes. Renforcer l’armée, cela signifie ouvrir la porte, à terme, à la suppression du service civil, jugé « trop attractif » [2] par ce parti, ainsi qu’à l’obligation de servir pour les femmes et les personnes étrangères. Si, à court terme, une défense du service civil est nécessaire, à long terme, c’est toute l’institution militaire qu’il faut abolir ! Si nous avons quelque chose à défendre, ce sont les droits démocratiques et sociaux pour lesquels nous nous sommes battus et continuons à nous battre.
En demandant la neutralité intégrale, l’initiative implique aussi que la Suisse n’adhère à aucune alliance militaire ou de défense. C’est la raison pour laquelle le POP la soutient. Le parti considère cette initiative comme un « outil à disposition de la classe travailleuse pour signifier son refus d’adhérer à l’OTAN » [3] et revendique « une Suisse non-alignée sur les politiques impérialistes et belliqueuses des impérialismes de l’Union européenne et des États-Unis » [4].
Cette position pose des problèmes à plusieurs niveaux. En effet, une grande partie de la classe travailleuse de Suisse est d’origine étrangère et ne peut pas voter. Et même sa fraction qui dispose d’un passeport suisse n’a aucune prise sur la politique extérieure du pays, contrairement aux faîtières patronales dont l’influence est décisive. Par exemple, les mesures qui accompagnent l’accord douanier que s’apprête à signer la Confédération avec les États-Unis de Donald Trump, qui aura un impact négatif sur l’emploi (investissements massifs en Amérique) et la santé en Suisse (importation de poulets au chlore, homologation de véhicules ne remplissant pas les prescriptions de sécurité, etc.) ne seront soumises au parlement que comme un paquet ficelé.
Prenons un autre exemple : la droite, UDC en tête, a défendu l’acquisition de 36 avions de chasse F35 aux États-Unis, une option soutenue par les sommets de l’armée et défendue par le Conseil fédéral en mentant délibérément sur le coût faramineux de ces appareils pour triompher de justesse d’un référendum populaire. Or, on sait que ces avions resteront contrôlés à distance par les États-Unis, Lockheed Martin et le Pentagone restant propriétaires de ses logiciels de vol. C’est ainsi, en mentant à la population et en se soumettant aux exigences des grandes puissances impérialistes, que l’UDC entend défendre la neutralité armée.
Sur le fond, la posture du POP s’appuie sur une conception patriotique et chauvine de l’État suisse, de laquelle nous nous distançons fermement. L’initiative sur la neutralité vise clairement à défendre l’État helvétique, son identité, ses institutions et ses intérêts, qui sont par essence contraires à ceux des classes populaires. Soutenir cette initiative reviendrait à approuver publiquement l’ambition de l’UDC de renforcer l’une des institutions clefs de l’État bourgeois, qui s’appuie sur l’embrigadement, voire la coercition, pour défendre la propriété privée des moyens de production, maintenir l’ordre capitaliste et réprimer les résistances populaires.
En tant qu’antimilitaristes, nous dénonçons avec véhémence le rapprochement de la Suisse de l’OTAN, comme de toute autre alliance militaire qui vise à défendre les intérêts de la classe capitaliste par la guerre. En même temps, comme nous refusons l’adhésion de la Suisse à l’OTAN, nous refusons le maintien et le renforcement de l’institution militaire helvétique, au service de l’une des principales puissances impérialistes !
Le POP prétend qu’en empêchant la Suisse d’adhérer à l’OTAN, l’initiative sur la neutralité s’opposerait au projet militariste en cours de développement au sein de l’Union Européenne et du Royaume-Uni. Or, les pays leaders de l’Union européenne qui promeuvent aujourd’hui le programme « ReArm Europe » défendent précisément que le Vieux Continent se dote de moyens militaires massivement renforcés pour être moins tributaires des États-Unis.
L’initiative de l’UDC obéit à la même logique à l’échelle de la Suisse, dont elle nourrit les velléités militaristes. En réalité, les cercles dirigeants de l’armée sont déjà étroitement liés à l’industrie d’armement européenne et israélienne pour développer de nouveaux systèmes d’armes. Par exemple, l’unité de production de la société allemande Rheinmetall, à Zurich, a doublé récemment ses effectifs pour la production de systèmes ultra-modernes de protection anti-drones.
L’initiative ouvre la porte à une offensive militariste
Le comité de l’initiative sur la neutralité revendique explicitement le « retour d’une armée forte » [5]. Cette initiative est utilisée comme tremplin pour l’agenda sécuritaire de l’UDC, fondamentalement austéritaire, raciste, xénophobe et sexiste. Cet agenda n’est pas caché. En août dernier, l’UDC a publié un argumentaire de fonds sur l’initiative pour la neutralité, dont les conclusions ont été exposées à l’occasion d’une conférence de presse [6].
Le parti revendique ainsi un service de renseignement de la Confédération efficace, « capable de détecter rapidement les menaces de l’intérieur et de l’extérieur du pays » ; le contrôle de l’immigration pour « lutter efficacement contre le terrorisme, l’espionnage et les conflits hybrides » ; un renforcement de la milice et son extension au-delà de l’armée ; l’augmentation de l’effectif total de l’armée à au moins 120 000 soldats à court terme et au moins 200 000 à moyen terme, avec réintroduction de l’examen de conscience pour le service civil ; l’augmentation des moyens financiers alloués à l’armée pour attendre au moins 1% du PIB d’ici 2030 ; l’introduction d’une taxe d’exemption de l’obligation de servir pour les étrangers ; le port d’armes citoyen [sic !] et le développement de l’industrie suisse d’armement.

La mise en place d’une politique dite de « neutralité armée » a principalement une fonction sur le plan intérieur : renforcer la cohésion des classes populaire autour des intérêts du patronat, être la colonne vertébrale de la « nation helvétique » en alimentant le nationalisme. Cette dite neutralité armée permet de surcroît de justifier d’importantes dépenses militaires.
Cette politique a subi des revers et des adaptations dues au contexte international, depuis la chute du Mur de Berlin, qui lui avait jusqu’ici servi de justification. D’où le résultat de l’initiative « pour une Suisse sans armée » [36 % de oui en novembre 1989, une majorité dans les cantons de Genève et du Jura, NDR] et l’écho des campagnes visant à refuser l’achat d’armements très coûteux.
Aujourd’hui la classe dominante helvétique cherche à nouveau à ancrer auprès de larges couches de la population cette idéologie de la « forteresse assiégée », de la nécessité d’une armée forte pour défendre notre neutralité, parce que nous serions « un petit pays dont tous envieraient la richesse que nous aurions gagné à la force du poignet ». Dès lors les dominants cherchent à réactualiser et à recrédibiliser la politique de neutralité armée. A-t-on déjà oublié que ce sont les accommodements de Berne avec le Troisième Reich et non l’armée suisse qui a dissuadé les divisions blindées d’Hitler d’envahir la Suisse pendant le Seconde Guerre mondiale ?
Penser que l’on pourrait soutenir l’initiative de l’UDC en lui donnant une autre perspective est une dangereuse illusion. Elle s’inscrit totalement dans la logique d’une défense nationale armée au profit du capital ! Ladite neutralité armée est l’un des leviers du chauvinisme et du nationalisme helvétiques, qui n’est pas combattu par la direction du Parti Socialiste Suisse et de l’Union Syndicale Suisse. Comme nous allons le voir, cette initiative ne constitue pas non plus un instrument pour lutter contre l’impérialisme suisse, bien au contraire.
L’initiative renforce l’impérialisme suisse
En tant que pilier de l’impérialisme suisse, la neutralité a toujours favorisé les intérêts capitalistes. Nous considérons donc que l’initiative sur la neutralité ne peut être un outil au service des classes populaires, contrairement à ce que prétend le POP. Petite par sa taille et sans accès direct à la mer, la Suisse n’a pas réussi à se lancer, au même titre que les grandes puissances, dans des conquêtes territoriales. L’impérialisme suisse n’a ainsi pas pris le visage d’une puissance militaire coloniale. Il s’est développé dans l’ombre des États qui ont colonisé par la violence une grande partie du monde.
L’impérialisme suisse s’est notamment manifesté par la conquête des marchés et des actifs de la « périphérie », en particulier par l’exportation de capitaux. Aujourd’hui encore, les entreprises helvétiques occupent une position dominante dans toute une série de secteurs (chimique-pharmaceutique, alimentaire, machines, matériaux de construction, extraction minière), voir hégémonique dans certains d’entre eux, à l’exemple de Nestlé au Brésil.

En installant massivement des filiales dans les pays de la « périphérie », les multinationales suisses fondent leurs richesses sur l’exploitation d’une force de travail bon marché – et dans une série de cas, brutalement réprimée – et de la nature tout en rapatriant une partie de leurs profits pour bénéficier d’une fiscalité au rabais. Leur poids dans les économies de la « périphérie » a permis aux firmes suisses d’influencer le destin politique de certains pays, quand elles n’étaient directement associées en amont à la formulation de politiques locales. L’État suisse, en particulier ses services diplomatiques, ont été partie prenante de ce mouvement d’expansion en défendant les intérêts des entreprises helvétiques auprès des gouvernements locaux.
La neutralité a joué un rôle fondamental dans ce sens en servant de point d’appui aux autorités politiques suisses pour justifier le développement d’étroites relations avec des régimes colonialistes, autoritaires, criminels, qui ont à leur tour permis aux sociétés helvétiques d’exploiter allègrement une force de travail très bon marché aux quatre coins du globe. Historiquement, les milieux dirigeants helvétiques ont su se faire une place aux côtés de puissances belligérantes ou colonialistes pour profiter des opportunités d’affaires qu’ils pouvaient en tirer.
L’industrie suisse d’armement, que l’UDC veut développer, compte parmi celles qui prospèrent le plus en profitant des guerres impérialistes. Comment prétendre dès lors à une Suisse « fer de lance de l’amitié entre les peuples », quand l’industrie d’armement tire profit des conflits internationaux tout en bénéficiant d’un soutien sans réserve de l’État ? Il est totalement illusoire de penser que sa neutralité proclamée tient la Suisse à l’écart des conflits au profit d’une position de médiation, œuvrant de manière désintéressée à la paix.
L’impérialisme helvétique participe directement du pillage des richesses des pays colonisés ou dominés, avec pour corollaire interne la mise en place d’un paradis fiscal. Là encore, la place financière suisse a largement profité des bouleversements économiques et politiques qui ont marqué le siècle dernier pour se poser en terre d’asile des capitaux en fuite. Dans la division internationale du travail entre centres financiers, la place financière helvétique est spécialisée dans la gestion de fortune et dispose d’un avantage comparatif décisif pour les élites économiques qui cherchent à mettre leur argent à l’abri : le secret bancaire — en dépit de son allègement, il n’interdit pas d’ingénieux montages opaques. Ce dernier permet à des multimillionnaires de tous les pays de déposer leur argent sur des comptes numérotés en toute discrétion, favorisant ainsi l’évasion et la fraude fiscale.
Le détournement de ces sommes dans les banques helvétiques prive les autres pays de sommes considérables, puisqu’elles se dérobent à l’impôt, pourtant indispensable au financement de leurs services publics, voire à la satisfaction de besoins essentiels. En attirant ces capitaux, les établissements financiers suisses contribuent non seulement à accentuer les inégalités, en particulier au détriment des pays de la « périphérie », mais elles reprêtent en plus à leur tour une partie de ces sommes aux pays dont elles proviennent et s’enrichissent ainsi en percevant des intérêts souvent usuraires. Cette position particulière confère aussi au capitalisme suisse un caractère « rentier » ou « parasitaire ».
Pour développer une politique anti-impérialiste en Suisse, il est nécessaire de rappeler les spécificités de l’impérialisme suisse dans le monde. La politique impérialiste helvétique a deux facettes principales : d’une part, la nécessité de répondre aux besoins de main d’œuvre bon marché et flexible sur son marché intérieur (l’immigration) ; d’autre part, la recherche de profits maximums venant de l’exploitation de la force de travail à l’étranger. L’impérialisme suisse a mis ses œufs dans tous les paniers du pillage colonial et néocolonial, pratiquant une forme de colonialisme et de néocolonialisme masqué.
Une orientation anti-impérialiste en Suisse ne peut donc en aucun cas se concrétiser en demandant à la Suisse de ne pas participer à une « alliance militaire ou défensive » ou à des « conflits militaires entre États tiers », selon les termes mêmes de de l’UDC. La politique de neutralité, depuis le XIXe siècle, a pour objectif de maintenir de florissantes affaires avec toutes les puissances militaires impérialistes, même quand elles sont en conflit, et de garantir la collaboration de classe en Suisse. C’est ainsi que la bourgeoisie helvétique coopère avec chacune de ces puissances au gré de ses propres intérêts conjoncturels (comme l’a bien illustré sa collaboration avec les autorités nazies).
Ne sacrifions pas nos services publics au renforcement de l’armée
L’agenda caché de l’initiative sur la neutralité représente également une sérieuse menace pour nos droits et libertés démocratiques et expose nos services publics au danger de coupes encore plus sévères. En revendiquant une augmentation de la dotation de l’armée, l’UDC montre son mépris pour les préoccupations essentielles des classes populaires. À l’heure où de larges programmes d’austérité font pression sur nos services publics et nos assurances sociales, l’UDC propose d’affecter l’équivalent de 1% du PIB suisse à l’armée, soit une augmentation d’environ 3 milliards de francs (en valeurs actuelles) !
Pour l’UDC, les personnes étrangères ne sont pas les bienvenues en Suisse… sauf si elles contribuent — sans droits — aux profits du capitalisme suisse et qu’elles participent par leurs impôts aux dépenses militaires ! Finalement, sous prétexte de « lutter contre le terrorisme », l’UDC entend renforcer les services de renseignement, ouvrant la voie à une surveillance et à une répression accrues des syndicalistes combatifs, des féministes, des antiracistes, des activistes de la justice climatique ou de la solidarité avec la Palestine et, de manière générale, des pratiques de désobéissance civile.
Ce que nous propose l’UDC c’est de préférer le renforcement de l’armée à la défense et à la revalorisation des services publics et des assurances sociales. Ce choix politique est aussi celui d’une société qui vise à faire reposer davantage les tâches domestiques, d’éducation et de soins sur les femmes, tant au sein de la famille que par leur assignation systématique à des emplois sous-payés. La place des femmes au foyer, au cœur de l’idéologie militaire suisse, était d’ailleurs clairement formulée, en 1959, dans le Livre du Soldat :

« La femme est d’abord la gardienne du foyer.
L’homme est à l’usine, aux champs, à l’atelier, au bureau ; il voyage ; il est absorbé par la vie professionnelle, politique, sociale, militaire ; il se voue aux sports ; il est enrôlé dans dix, vingt sociétés ; il se doit à ses amis, à ses connaissances. (…)
Du matin au soir de chaque jour, du premier au dernier jour de l’année, la maman est là, qui pense à tous, qui pense pour tous, qui n’oublie rien, va, vient, sans relâche, se dévoue sans relâche, s’inquiète, se tourmente, fait des prodiges pour que chacun soit content. Que serait ce foyer, sans elle ?
C’est elle qui apprend à ses enfants à aimer leur pays, à le servir dans la rigueur de leur conduite. Une bonne mère éprouve de la fierté à voir son fils requis pour la défense des frontières parce qu’elle sait, qu’en défendant la patrie, le soldat défend le foyer qu’elle a créé. Bien qu’elle ne possède pas encore le droit de vote, elle s’intéresse aux affaires publiques, parce que personne ne connaît mieux qu’elle les difficultés pratiques de la conduite d’un ménage et elle sait bien que la conduite d’un État n’est pas autre chose que la conduite d’un grand ménage. »
Choisir l’armée contre les services publics, c’est renforcer un conservatisme sexiste qui sert l’accumulation capitaliste en misant sur l’exploitation des femmes et des hommes à la production, mais aussi sur le travail ménager, d’éducation et de soin, assumé majoritairement par les femmes au sein des familles. En ce sens, tout projet politique visant l’émancipation des femmes est incompatible avec le renforcement de l’armée. Nous revendiquons, au contraire la défense et le renforcement des services publics et des assurances sociales, mais aussi la socialisation et la revalorisation du travail de care, indispensable pour combattre l’oppression des femmes et promouvoir un projet social anticapitaliste.
Anti-impérialistes, féministes et antimilitaristes contre l’initiative de l’UDC
Dans ce contexte, nous pensons qu’il est nécessaire que la gauche internationaliste s’engage dans la campagne à venir contre cette initiative en développant une ligne anti-impérialiste, féministe et antimilitariste sans ambiguïté pour :
- Exiger la renonciation immédiate à l’achat des 36 F35 commandés par la Suisse aux États-Unis, une acquisition défendue bec et ongles par l’UDC, dont le prix ne cesse d’augmenter.
- Articuler une critique du rôle central que joue la neutralité armée dans l’expansion de l’impérialisme suisse.
- Dénoncer l’agenda militariste de l’UDC qui inspire clairement cette initiative.
- Lier l’offensive militariste en cours aux politiques d’austérité qui assèchent les caisses publiques et attaquent nos services publics et nos assurances sociales.
- Revendiquer, dans une optique féministe, un plan d’investissement massif dans les services publics et les assurances sociales, comme l’éducation, la santé, le logement social, les transports publics, la transition énergétique, l’AVS et les prestations sociales.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, des dizaines de milliers de grévistes de la fonction publique sont engagés dans une mobilisation exemplaire contre les mesures d’austérité imposées par leurs gouvernements cantonaux. Leurs préoccupations sont opposées à celles de l’UDC et à son initiative militariste. Ce n’est pas l’UDC, encore moins l’armée, qui protégeront nos acquis sociaux, mais bien celles et ceux qui font vivre notre société par leur travail et qui sont en lutte pour défendre nos services publics et nos assurances sociales. C’est à leurs côtés que nous devons nous tenir pour construire une alternative internationaliste, féministe et antimilitariste à l’offensive réactionnaire en cours.
Notes






