« Dans la reproduction, la vie est quelque chose de concret et de la vitalité […] Chacun des moments singuliers est essentiellement la totalité de tous ; leur différence est constituée […] dans la reproduction […] comme totalité concrète du tout. »
G.W.F. Hegel, Science de la logique
« Les dirigeants du mouvement pour les droits des femmes ne soupçonnaient pas que l’esclavage des Noirs dans le Sud, l’exploitation économique des travailleurs du Nord et l’oppression sociale des femmes pouvaient être systématiquement liés. »
Angela Davis, Femmes, race et classe
Nous sommes à un point d’inflexion dans le développement des théories matérialistes des oppressions sociales multiples. L’approche la plus influente dans ce domaine – la théorie de l’intersectionnalité – s’est efforcée de surmonter l’atomisme qui semblait être à labase de sa perspective conceptuelle, comme je le montre ci-dessous. Parallèlement, la théorie de la reproduction sociale, issue des analyses matérialistes historiques des relations entre les sexes, est en train d’être rénovée en partie pour répondre aux défis critiques posés par l’intersectionnalité et l’antiracisme. Dans ce qui suit, je suggère qu’une théorie de la reproduction sociale revitalisée dialectiquement – qui relève les défis critiques posés par l’analyse intersectionnelle – offre la perspective la plus prometteuse pour qui s’intéresse à une théorie matérialiste historique des oppressions multiples au sein de la société capitaliste.
Pour aller dans cette direction, il faudra adopter un protocole fondamental de la théorie dialectique : la critique immanente. Les analyses critiques ont trop souvent tendance à rejeter en bloc les approches alternatives, ce qui peut être une bonne chose lorsqu’il s’agit de formations idéologiques purement vulgaires. Mais cela ne suffit pas lorsqu’il s’agit de tenter de dépasser les limites d’une théorie animée d’un véritable esprit de recherche. Dans ce cas, la critique dialectique insiste sur le fait qu’un point de vue plus complet ne peut être obtenu qu’en absorbant les forces d’une perspective théorique au fur et à mesure que l’on surmonte ses faiblesses internes. Plutôt que de rejeter dogmatiquement une théorie contestataire, la critique dialectique pénètre dans son système de pensée, l’engage dans ses propres termes et intègre ses idées les plus critiques.
La vérité, affirme Hegel, n’est pas une chose ; elle « n’est pas une pièce de monnaie frappée que l’on peut donner et empocher toute faite ». La vérité réside plutôt dans le processus de la pensée critique, qui ne peut que passer de compréhensions partielles et unilatérales à des compréhensions plus riches et plus complètes. L’approche théorique qui a prévalu à un moment donné ne peut donc pas être rejetée avec désinvolture comme étant « fausse ». Même lorsqu’elle est dépassée par une théorie plus solide, une perspective antérieure pleine de faux départs fait toujours partie de l’histoire de la vérité, en tant que processus de découverte, d’exploration et de formulation théorique. « Cette vérité inclut donc aussi bien le négatif en soi-même, ce qui serait nommé le faux, si on pouvait le considérer comme ce dont on doit faire abstraction. Ce qui est en voie de disparition doit plutôt être lui-même considéré comme essentiel ; il ne doit pas être considéré dans la détermination d’une chose rigide, qui [est] coupée du Vrai […] » [1].
Hegel décrit également ce mode de critique comme une forme de négation déterminée. Contrairement à la négation abstraite, qui se contente de rejeter une position au profit d’une autre, la négation déterminée montre comment les contradictions au sein d’un système de pensée poussent à leur propre dépassement. Elle confronte donc ces contradictions à un double processus d’appropriation et de dépassement. C’est dans cet esprit que je me confronte à la théorie de l’intersectionnalité.
Convaincu que les analyses intersectionnelles comportent de profondes lacunes théoriques, je reconnais cependant les perspectives critiques qu’elles ont générées. Pourtant, comme le reconnaissent de nombreuses théoriciennes de l’intersectionnalité, leur perspective s’effondre face à certains problèmes internes fondamentaux. Ainsi, tout en abordant cette approche et ses contradictions, je cherche à montrer comment elles pourraient être dialectiquement surmontées – et leurs idées critiques conservées et repositionnées – dans le cadre d’une théorie de la reproduction sociale reconstruite dialectiquement.
Les impasses de la théorie de l’intersectionnalité
L’intersectionnalité est née des efforts déployés pour comprendre les multiples oppressions qui constituent l’expérience sociale de nombreuses personnes, en particulier des femmes de couleur. Pourtant, dès ses débuts, l’intersectionnalité est entrée en conflit avec la métaphore spatiale qui la définit. Après tout, une intersection est un espace dans lequel des routes ou des axes discrets se croisent [N.B. « discret » est utilisé dans le sens technique ou mathématique pour caractériser quelque chose de séparé, de distinct]. En effet, lors de la Conférence mondiale contre le racisme de 2001, l’une des principales fondatrices de l’analyse intersectionnelle, Kimberlé Crenshaw, a illustré sa théorie par l’image d’une personne se tenant à la jonction de plusieurs routes, tandis que des véhicules foncent sur elle sous plusieurs angles [2]. Malgré une insatisfaction croissante à l’égard de ce type d’images, les théories de l’intersectionnalité ont à plusieurs reprises eu recours à la description d’oppressions multiples à l’aide de termes spatialisés tels que des lignes, des lieux, des axes et desvecteurs. Christine Bose, par exemple, a recourru à l’image d’« axes d’oppression qui se croisent », tandis qu’Helma Lutz a énuméré « quatorze lignes de différence », un point de vue modifié par Charlotte Bunch, qui suggère que les différences sociales suivent « seize vecteurs » [3].
L’insatisfaction suscitée par l’idée que tous ces « axes » ou « vecteurs » de pouvoir sont constitués de manière indépendante a poussé un certain nombre d’analystes à modifier la notion de relations croisées par la vision de relations imbriquées. Patricia Hill Collins, par exemple, a proposé de penser en termes de systèmes d’oppression imbriqués qui constituent une « matrice de domination », laquelle constitue un « système unique, historiquement créé » [4]. Sherene Razack a poussé cette approche un peu plus loin en insistant sur le fait que les systèmes imbriqués « ont besoin les uns des autres », ce qui implique peut-être qu’ils sont co-constitués [5]. Plus récemment, Rita Kaur Dhamoon a suggéré que le terme d’interactions était préférable à celui d’intersections [6]. Tous ces efforts théoriques ont cherché à juste titre à surmonter l’image conceptuelle qui a hanté la théorie de l’intersectionnalité : celle d’identités ou de lieux réifiés et préconstitués qui entrent dans une sorte de contact externe les uns avec les autres. Mais en même temps, ces modifications ont continué à être affectées par l’atomisme ontologique inhérent aux formulations fondatrices de la théorie de l’intersectionnalité : l’idée qu’il existe des relations d’oppression constituées de manière indépendante qui, dans certaines circonstances, s’entrecroisent.
Une expression particulièrement claire de l’atomisme qui sous-tend les visions intersectionnelles est offerte par Floya Anthias, qui résiste ouvertement à l’idée que les relations de pouvoir et d’oppression sont co-constituantes. Un problème clé de l’idée de « constitution mutuelle », défend Anthias, c’est qu’elle « perturbe l’importance des catégories en elles-mêmes » [7]. Ici, l’idée semble être que si nous reconnaissons, par exemple, que les relations de race et de classe sont des éléments constitutifs internes du genre, alors la pertinence du genre en tant que catégorie est menacée. Il s’agit là d’un atomisme ontologique à la base, qui insiste sur le fait qu’une entité ou une relation ne peut pas être comprise comme constituée dans et à travers une autre sans perdre la véritable identité de la chose elle-même. Les choses – qu’elles soient des entités, des processus ou des relations – peuvent ainsi seulement être appréhendées comme des entités élémentaires fondamentalement séparées (discrete atomic bits). Nira Yuval-Davis rend cette position encore plus explicite sur le plan théorique en affirmant que, si chaque différence sociale est « imbriquée dans d’autres divisions sociales », néanmoins « la base ontologique de chacune de ces divisions est autonome » [8]. S’il en est ainsi, l’imbrication ne peut être qu’une sorte de contact externe entre des relations ontologiquement discrètes, comme si chaque relation de pouvoir était capable de se détacher de toutes les autres sans que sa constitution interne n’en soit affectée. Il en résulte une sorte de newtonisme social, une mécanique de collisions entre des éléments de la réalité sociale.
Par newtonisme social, j’entends en premier lieu le modèle théorique d’Isaac Newton, selon lequel l’univers est composé d’entités atomiques discrètes. Chacun de ces éléments possède un principe de mouvement autonome (« mouvement inertiel ») propre. Bien entendu, Newton savait que d’autres forces, telle la gravité, agissaient sur ces éléments. En effet, il savait que chaque corps exerçait une attraction gravitationnelle sur tous les autres. Néanmoins, il soutenait que la gravité opérait de l’extérieur, affectant chaque parcelle de matière de l’extérieur (et modifiant ainsi le mouvement généré par elle-même). Mais si chaque parcelle était affectée par la gravité, comment se faisait-il que la gravité ne soit pas essentielle à leur nature même ? En d’autres termes, comment se faisait-il que la gravité n’ait pas été pas reconnue comme quelque chose de constitutif de chaque élément, c’est-à-dire comme quelque chose qui faisait intrinsèquement de ces éléments atomiques ce qu’ils sont ? Une partie de la réponse réside dans le fait qu’une telle position remettait fondamentalement en question l’atomisme auquel Newton était attaché. Après tout, si ce que sont les choses était déterminé de manière significative par des forces qui semblaient leur être « extérieures », le monde apparaitrait comme un système organique complexe et dynamique au sein duquel les frontières entre les parties seraient toujours poreuses. Newton était tout à fait conscient de la mesure dans laquelle le monde était un flux et une transformation sans fin. Ce qui lui permettait d’insister sur la stabilité et l’identité de ses parties était sa conception d’un l’espace et d’un temps absolus.
Au lieu que son modèle dynamique de l’univers le conduise vers une philosophie des relations internes – pour laquelle chaque partie est constamment en mouvement et en interaction et donc affectée intérieurement et constituée intrinsèquement par ses interrelations avec d’autres parties – Newton soutenait que ce monde en flux était en fin de compte stabilisé par l’absoluité du temps et de l’espace. Chaque objet et chaque partie atomique, insistait-il, occupe un emplacement unique dans un espace et un temps immuables. Pour clarifier ce concept, Newton insistait sur le fait que cet espace et ce temps absolus étaient de nature mathématique. De même qu’une figure géométrique pure, comme un cercle ou un triangle, peut être construite dans un espace abstrait, en dehors de toute forme sensible (par exemple, dans notre esprit), de même le temps absolu est indépendant de nos sensations, et l’espace absolu, de toute substance matérielle réelle. Ainsi, dans ses Principia, Newton affirmait que le « temps absolu, vrai et mathématique » était « en lui-même et par sa propre nature, sans référence à quoi que ce soit d’extérieur ». Et dans le même langage, il dépeignait un espace absolu qui, « sans référence à quoi que ce soit d’extérieur, restait toujours homogène et immobile » [9]. Avec cette conception d’un espace et d’un temps homogènes et immobiles, Newton plaçait son monde dynamique en mouvement constant sur des fondations fixes et immuables.
Cette métaphysique statique, avec sa conception d’un espace et d’un temps absolument fixes, a ainsi sauvé l’atomisme de Newton, c’est-à-dire sa notion selon laquelle l’univers était constitué de parties atomiques discrètes et indépendantes qui étaient animées intérieurement jusqu’à ce qu’elles soient modifiées par des collisions externes et des interactions avec d’autres parties et d’autres forces. Même si notre monde paraît être un flux et une interaction sans fin entre ses parties – ce qui semble menacer une conception atomiste selon laquelle les éléments du monde sont fondamentalement discrets et indépendants les uns des autres – les choses sont en fait stabilisées, selon Newton, par les coordonnées fixes, bien qu’invisibles, d’un espace et d’un temps absolus. Le célèbre modèle de l’univers, dans lequel les éléments se comportent comme des boules qui s’entrechoquent et se déplacent sur une table de billard sous l’action d’un moteur invisible, repose précisément sur cette vision statique. Un monde dynamique en mouvement était ainsi tenu en échec par un ordre immuable (réglementé mathématiquement).
Le libéralisme classique, en particulier dans le domaine de l’économie politique, a adapté cette philosophie mécanique à la vie sociale. Pour des théoriciens comme Adam Smith, l’univers social est composé d’éléments atomiques qui se déplacent d’eux-mêmes (des individus à la recherche de leur propre intérêt), et dont les mouvements contradictoires sont régulés par la morale, le droit et, surtout, lemarché. Dans le pêle-mêle trépidant des collisions entre individus intéressés, un ordre social stable émerge donc, qui peut être analysé de la même façon que Newton a déchiffré l’ordre dans le flux du monde physique. La « main invisible » du marché de Smith, qui génère l’harmonie à partir du comportement chaotique et intéressé des individus, est un analogue délibéré des forces invisibles qui harmonisent le monde physique de Newton [10]. En effet, l’univers de l’espace-temps mathématique abstrait de Newton s’accorde parfaitement avec le monde du marché capitaliste. « À l’abstraction physique de l’espace correspond l’abstraction économique du marché, qui rend différents types de travaux et de richesses comparables par le biais des relations monétaires », écrit Daniel Bensaïd. « Au temps physique homogène et vide correspond le temps linéaire de la circulation et de l’accumulation » [11]. L’espace newtonien est ainsi le corollaire de l’espace social abstrait de la vie sociale dominée par la marchandise et gouvernée par le marché capitaliste.
En suggérant que la théorie de l’intersectionnalité est hantée par le newtonianisme social, je me réfère précisément à l’idée que différents axes et vecteurs de différence peuvent être cartographiés dans l’espace social comme des « éléments » ontologiquement séparés et autonomes qui entrent dans des relations externes avec d’autres « éléments ». Tout comme chaque atome doit être mesurable et chaque marchandise doit avoir sa mesure dans le prix, une théorie des axes ou vecteurs distincts exige que chaque relation soit enfermable, mesurable, cartographiable. Ironiquement, les grands courants de la science moderne – de la théorie des systèmes à la théorie du chaos et de la complexité – ont largement dépassé une telle approche. Comme l’observe un commentateur, « dans la science moderne, l’interaction dynamique semble être le problème central dans tous les domaines de la réalité » [12]. Avec l’interaction dynamique – par opposition aux collisions externes entre les choses – vient, au moins implicitement, la notion que les choses sont liées intérieurement, c’est-à-dire qu’une chose (partie ou relation) est intrinsèquement constituée par les relations qu’elle entretient avec d’autres. À cet égard, la pensée scientifique contemporaine s’éloigne souvent de la mécanique pour se rapprocher de la dialectique [13]. Revenons à notre examen de la théorie de l’intersectionnalité sous cet angle.
Si les théoriciennes de l’intersectionnalité ont tendance à travailler avec des lieux et des vecteurs plutôt qu’avec les individus séparés de la théorie libérale, elles sont confrontées à un problème méthodologique similaire. Elles sont également confrontées à un défi, lorsqu’ils’agit de dériver une sorte d’ordre ou de système social à partir de ces parties. Après tout, pourquoi avons-nous des raisons de penser que des axes d’oppression constitués de manière indépendante entreront en contact ? Si c’est le cas, pourquoi un modèle ordonné devrait-il émerger, plutôt qu’un chaos aléatoire ? Et pourquoi ce contact n’affecterait-il pas de manière interne les axes ou les vecteurs en question ? C’est peut-être parce que l’intersectionnalité trouve son origine dans la théorie juridique – avec sa doctrine fondamentale de sujets juridiques discrets et autonomes qui possèdent des biens et des droits – qu’elle se retrouve régulièrement piégée dans un atomisme que ses partisanes les plus sophistiqués cherchent à fuir (comme le montrent les efforts de Hill Collins pour théoriser une « de domination » singulière).
Les individus atomisés, bien sûr, ne peuvent entrer en collision, ou éviter d’entrer en collision, que dans l’espace social. Dans le premier cas, nous assistons à des violations de l’espace personnel des droits et de la propriété. Il n’est donc pas surprenant que la théorie de l’intersectionnalité, en dépit d’efforts admirables en sens contraire, revienne régulièrement à des conceptions spatialisées de la totalité sociale. Ainsi, Anthias finit par préconiser une fusion de l’intersectionnalité avec la théorie de la stratification et sa représentation vulgaire des relations sociales de pouvoir en termes de strates géologiques [14]. Le résultat est l’ajout d’une métaphore spatiale rigide – la strate – à celles des axes, des vecteurs et des lieux.
Même lorsque les théories de l’intersectionnalité tentent de s’orienter vers une conception des « interactions » entre les différentes relations de domination, elles restent prisonnières de ce que Hegel décrit comme le chimisme, une perspective qui reconnaît« l’ajustement et la combinaison réciproque » entre les éléments, mais qui reste « affectée […] par l’extériorité », c’est-à- dire par l’idée que des ingrédients discrets et préconstitués ne peuvent agir les uns sur les autres que de l’extérieur, et non d’une manière véritablement formatrice [15]. L’organicisme dialectique, en revanche, considère qu’un ensemble social divers et complexe est constitutif de chaque partie, et que chaque partie est réciproquement constitutive de toutes les autres. Cela lui permet de surmonter les apories de l’atomisme intersectionnel. De cette manière, la dialectique peut transcender ce que Himani Bannerji décrit comme « l’habitude de la pensée fragmentaire ou stratifiée si répandue parmi nous, qui finit par effacer le social de la conception de l’ontologie » [16].
Ontologie et dialectique
Dans sa Science de la logique, Hegel établit une typologie tripartite des modèles d’interaction dans les sciences naturelles et humaines. Il identifie les trois modèles en question comme étant le mécanisme, le chimisme et la téléologie. Ces modèles résument l’état de la pensée scientifique à son époque et, selon moi, continuent d’éclairer les débats en sciences sociales, notamment ceux concernant l’intersectionnalité et la théorie de la reproduction sociale.
Le mécanisme, que Hegel associe clairement au newtonisme, implique « un style de pensée mécanique », dans lequel des objets discrets entrent en relation extérieure les uns avec les autres. Dans la mesure où le mécanisme conçoit une pluralité de choses, il les considère comme une « agrégation » – rappelons ici les listes de quatorze, puis seize, axes ou vecteurs de différence que nous avons vus – dans laquelle l’« unité » de toutes les parties est « unité extérieure indifférente ». Plutôt que d’unifier les parties en tant qu’aspects intérieurement liés d’un tout, le tout est considéré comme une simple somme de parties indifférentes. Dans cetteperspective, « objets sont auto-subsistants les uns par rapport aux autres » et existent sous la forme d’une « externalité mutuelle » [17].
Le chimisme, selon Hegel, a le mérite de reconnaître les interactions entre les éléments différenciés. Mais parce qu’il part lui aussi des présupposés de l’atomisme, avec sa vision de parties du monde constituées de manière indépendante et dont les propriétés les plusfondamentales ne sont pas affectées par d’autres parties, il ne peut imaginer l’interaction que sous la forme d’un « ajustement et d’une combinaison réciproques » des parties les unes avec les autres. Ainsi, le chimisme peut reconnaître la combinaison de deux parties d’hydrogène avec une partie d’oxygène qui produit de l’eau, mais il ne théorise pas les transformations qualitatives que cette combinaison entraîne – l’émergence de formes de vie qui ne sont pas réductibles à ces deux éléments chimiques. Par conséquent, les interactions dont parle le chimisme sont « toujours infectées … par l’externalité. » [18]. On peut observer précisément cette approche dans les récits intersectionnels qui parlent en termes d’« interactions entre les structures sociales génératrices d’inégalité » [19].Ces structures sont considérées comme des « choses » discrètes et relativement fixes qui préexistent à leur interaction. Un problème similaire persiste dans les perspectives d’interconnectivités et de relations imbriquées entre de multiples systèmes d’oppression [20]. De nouvelles combinaisons peuvent être créées par les interactions et les interconnectivités, mais les structures elles-mêmes sont considérées comme constituées avant leur contact les unes avec les autres.
En opposition dialectique au mécanisme et au chimisme – j’entends par là, en suivant Hegel, une négation qui surmonte les contradictions et les impasses théoriques tout en conservant les intuitions les plus scientifiques d’une théorie – Hegel se tourne vers la téléologie. Ici, étant donné la prédominance des modes de pensée analytiques et positivistes, quelques précisions s’imposent.
Le positivisme et la théorie postmoderne convergent aujourd’hui dans leur hostilité à la téléologie. Le positivisme veut « les faits et rien que les faits », son hyperempirisme affichant une allergie à toutes causes ou objectifs plus vastes qui pourraient dominer les « faits » immédiatement observables. Les événements, tels que les guerres ou les crises économiques, ne sont que des événements ; toute théorisation plus large en termes, par exemple, de dynamique du capitalisme et de l’impérialisme est considérée comme illicite, car elle transcende la particularité du phénomène pris en tant qu’événement discret et singulier. Dans un langage différent, la théorie postmoderne a également rejeté la téléologie en tant que recherche de grands récits, d’histoires qui visent illégitimement à donner une direction générale à des phénomènes et à des événements discrets [21]. Comme l’ont souligné les critiques, les deux positions anti-téléologiques sont prises dans une contradiction performative. Après tout, l’affirmation selon laquelle la nature et la société n’ont pas d’objectifs ou de directions plus vastes est en soi un grand récit, une affirmation universelle qui ne peut pas être établie à partir d’événements isolés en eux-mêmes et d’eux-mêmes.
L’argument fondamental de Hegel à cet égard est que la vie elle-même a une dynamique téléologique, c’est-à-dire que la vie a un but.Comme l’explique Hegel, toute vie obéit à une tendance à se préserver et à se reproduire. Nous ne pouvons pas comprendre notre monde et nous-mêmes en dehors d’une compréhension des objectifs de la vie. Ainsi, pour reprendre un exemple familier, si je construis une table, sa cause matérielle est le bois. Sa cause formelle est la forme de la table, c’est-à-dire qu’elle doit avoir des pieds de longueur à peu près égale afin de l’équilibrer, et ainsi de suite. Sa cause efficiente est l’activité – scier le bois, assembler les pièces, marteler les clous, poncer le plateau, etc., que j’exerce en tant que fabricant de tables. Mais la cause finale (telos) – le but qui informe sa fabrication – est la reproduction de la vie des membres de ma famille [22]. C’est autour de la table que nous nous réunirons pour manger, boire, célébrer et régénérer nos liens communautaires. C’est autour de la table que nous nous reproduirons socialement et matériellement en tant que personnes vivantes interconnectées. Pour Hegel, le concept de téléologie est à la fois aussi simple et aussi profond que cela.
Le point de vue de la téléologie ne peut être qu’organique. Une partie d’un système vivant n’est pas une entité discrète et autosuffisante. Les poumons n’existent pas simplement pour traiter l’oxygène en eux-mêmes ; ils existent en relation avec le cœur, le système circulatoire, etc. C’est l’organisme dans son ensemble qui est vivant, et non les mains, les yeux ou le foie en tant que tels. Tous ces organes ont un impératif primordial – la reproduction du processus global de la vie – auquel ils ne sont pas égaux par eux-mêmes. Leurs fonctions n’ont de sens téléologique qu’en tant qu’ensemble, que dans leurs interconnexions en tant que parties dont la finalité concerne l’ensemble, l’organisme vivant dans sa totalité. Il en va de même pour un produit du travail humain, tel qu’une table. Lorsque je construis une table pour mon ménage, les pieds, les articulations et le plateau en bois sont produits en tant qu’éléments d’un ensemble organique, et non comme des finalités discrètes en elles-mêmes. De même, lorsque je construis des concepts pour comprendre quelque chose, ils sont informés par l’objectif plus large de donner un sens au monde dans le cadre de la vie dans ce monde – et cela s’applique également à l’empiriste vulgaire, pour qui la négation de la connaissance générale fait partie de son récit devie. Les systèmes vivants – du corps aux objets d’une maison en passant par les systèmes de connaissance – sont tous informés par des objectifs. Hegel estime qu’il en va de même pour les collectivités sociales, de la famille à l’État [23].
L’un des éléments les plus matérialistes de la dialectique de Hegel est son insistance sur le fait que ce qui relève de la vie relèveégalement de la pensée. Si la vie est animée par la finalité d’un système organique dynamique, la pensée, en tant qu’aspect de la vie, doit obéir au même impératif. La pensée doit être à la hauteur de la richesse complexe et multiple de la vie. Elle doit rechercher « le concept organique réel ou le tout » [24]. Comme la vie est un voyage qui décrit un chemin dynamique, contradictoire, il en va de même de la pensée. Comme une vie bonne et vraie est une vie qui s’enrichit de relations, de connaissances et d’expériences, il en va de même de la pensée. La pensée véritable s’efforce non pas de produire des objets de pensée fixes, mais de tracer un processus de compréhension toujours plus riche. « La vérité n’est pas une monnaie frappée qui, telle quelle est prête à être dépensée ou encaisse ». Au contraire, lavérité est le processus de compréhension toujours plus riche, plus détaillé, plus concret de nous-mêmes et de notre monde. Selon Hegel, toute quête de connaissances commence par des éléments d’information spécifiques (ou « contenus » de pensée). La méthode scientifique de la philosophie, affirme-t-il, « est la nécessité et l’expansion de ce contenu en un tout organique. Grâce à ce mouvement, le chemin par lequel le concept du savoir est atteint devient lui-même aussi un devenir nécessaire et complet » [25].
C’est pourquoi Hegel, dans une démarche radicalement opposée à la logique formelle, introduit le concept de vie dans sa Science de laLogique [26]. En effet, si la tâche de la pensée – et quel pourrait être un but plus élevé ? – est de comprendre la vie, alors cela nécessite un système conceptuel adapté au déroulement complexe, dynamique et multidimensionnel de la vie. Cependant, cela nécessite non pas des catégories formelles et logiques, mais des catégories dialectiques ; non pas les concepts fixes et statiques de la philosophie analytique, avec ses pièces de monnaie frappées, mais des concepts qui sont intérieurement dynamiques et autotransformateurs, des concepts qui saisissent le devenir même des choses dans leurs multiples facettes. Les concepts dialectiques, insiste Hegel, « deviennent fluides » au fur et à mesure que l’un passe dans l’autre et atteint une plus grande richesse. Cela exige que les différences qui constituent un phénomène, ses « moments différenciés », perdent leur « fixité », comme la pensée est aux prises avec leur dynamisme et leur interrelation – qui sont, bien sûr, le dynamisme et l’interrelation des éléments de la vie elle-même [27]. La pensée dialectique va donc au-delà de la « méthode consistant à tout ranger [dans] une série de boîtes fermées », qui écarte ou cache « l’essence vivante de la chose ». Elle résiste aux tendances abstraites de la pensée analytique, qui s’efforce de décomposer les phénomènes en morceaux de plus en plus petits qui peuvent être mis en boîte et étiquetés. En revanche, la dialectique retrace la « genèse de l’objet », les interrelations dynamiques et changeantes entre les éléments de la vie qui constituent une totalité concrète (et donc intérieurement différenciée) [28].
Pour Marx, ce mode de pensée dialectique était une seconde nature, quelque chose sur lequel il réfléchissait rarement, tant il le considérait comme allant de soi. Pourtant, après la mort de Marx, Engels a reconnu à quel point ce mode de pensée était étranger à de nombreux lecteurs de l’œuvre de Marx. C’est pourquoi il a conseillé aux lecteurs du Capital de ne pas chercher
de définitions fixes, précises, applicables une fois pour toutes dans l’œuvre de Marx. Il va de soi que là où les choses et leurs relations sont conçues, non pas comme fixes, mais comme changeantes, leurs images mentales, les idées, sont également sujettes au changement et à la transformation, et qu’elles ne sont pas enfermées dans des définitions rigides, mais sont développées dans leur processus historique ou logique de formation [29].
Ce rejet des méthodes formelles et logiques de définition correspond à une vision dialectique de la vie en tant que devenir dynamique. Les concepts ne peuvent être fixes et rigides car la vie n’est rien de tel. Il s’ensuit que le caractère multidimensionnel de la vie sociale ne peut être saisi en présupposant que ses parties sont « ontologiquement autonomes ». Au contraire, s’il existe des composants analytiquement identifiables des ensembles vivants – des mains et des yeux, ou des individus concrets – ils ne peuvent être pleinement compris que de manière relationnelle. Pour l’organicisme dialectique, les objets sont en fait des relations [30] ; ces relations sont en mouvement, subissant des transformations temporelles qui les reconfigurent en tant qu’éléments d’un systèmevivant.
Il est édifiant de constater que, dans sa critique de la théorie de l’intersectionnalité, Himani Bannerji insiste elle aussi sur la priorité dela vie ou de l’expérience vécue. « Les personnes blanches et non blanches vivant au Canada ou en Occident le savent », écrit-elle,
que cette expérience sociale n’est pas, telle qu’elle est vécue, une question d’intersectionnalité. Leur sentiment d’être dans le monde, structuré par une myriade de relations sociales et de formes culturelles, est vécu, ressenti ou perçu comme étant tout ensemble et tout à la fois [31].
Dans cette perspective, Bannerji préconise une compréhension du tout social concret dans « ses multiples médiations de relations et de formes sociales » [32]. « Nous devons nous aventurer, écrit-elle, dans une lecture plus complexe du social, où l’on peut montrerque chaque aspect reflète les autres, où chaque petit morceau contient le macrocosme dans le microcosme » [33]. Les parties distinctes d’un tout social sont donc en relation interne ; elles se médiatisent les unes les autres et, ce faisant, se constituent les unes les autres. Et les choses (ou relations) qui sont intermédiées et co-constituantes ne sont pas ontologiquement distinctes, même si elles ont des propriétés qui les différencient et constituent une distinction relative.
Certes, il existe des propriétés spécifiques aux différentes parties d’un ensemble. L’œil a des propriétés fonctionnelles particulières très différentes de celles de la main. Le racisme a des caractéristiques spécifiques qui permettent de le distinguer en premier lieu du sexisme. Mais ces distinctions ne constituent pas des définitions exhaustives. Elles constituent un point de départ à partir duquel la pensée déploie les relations internes des parties entre elles et avec le système organique dans son ensemble. Le racisme, en d’autres termes, peut être compris comme une totalité partielle avec des caractéristiques uniques qui doivent finalement être saisies en relation avec les autres totalités partielles qui composent le tout social dans son processus de devenir. Chaque totalité partielle, chaque système partiel à l’intérieur du tout, possède des caractéristiques uniques (et une certaine « autonomie relative » ou, mieux, relationnelle). Le « système cœur-poumon », par exemple, constitue une telle totalité partielle au sein de l’organisme humain dans son ensemble. Maisaucune partie (ou totalité partielle) n’est ontologiquement autonome en soi. Chaque partie est à la fois (partiellement) autonome et dépendante, (partiellement) séparée et ontologiquement interconnectée. Par conséquent, aucune ne peut être appréhendée de manière adéquate comme une unité autosuffisante en dehors de son appartenance à un ensemble vivant. Bien sûr, le tout organique est constitué dans et par ses parties – ce sont elles qui lui donnent sa détermination et son caractère concret – mais il n’est pas réductible à ses parties. Il est plus grand et plus systématique qu’une simple somme additive. Il existe, insiste Hegel, des relations de réciprocité, plutôt que de mécanisme, entre les parties et entre les parties et le tout. C’est d’ailleurs ce que signifie être un organisme vivant plutôt qu’un mécanisme sans vie.
C’est à ce stade de son analyse de la vie que Hegel introduit son concept de reproduction. Un organisme vivant, après tout, doit se reproduire lui-même ; sans reproduction – qu’elle soit quotidienne, saisonnière ou générationnelle – la vie cesse. De plus, c’est l’organisme dans son ensemble qui doit se reproduire, car c’est l’organisme total qui vit, qu’il soit biologique ou social. Les organes individuels ne vivent que par la reproduction de l’organisme entier. Il s’ensuit que les parties et le tout sont liés dans un seul et même processus de vie :
Dans la reproduction, la vie est quelque chose de concret et de la vitalité […] Chacun des moments singuliers est essentiellement latotalité de tous ; leur différence est constituée […] dans la reproduction […] comme totalité concrète du tout [34].
Une totalité concrète atteint la concrétude (« détermination ») par les différences qui la composent. En même temps, chacune de ces différentes parties porte le tout en elle ; en tant qu’éléments de la vie, leur reproduction est impossible en dehors du tout vivant. C’est en gardant cette conception à l’esprit que Marx écrit : « Le concret est concret parce qu’il est le rassemblement de multiples déterminations, donc unité de la diversité » [35]. Pour Hegel et Marx, les totalités ou les universaux ne sont pas des abstractions de la diversité et de la multiplicité concrètes des choses. Au contraire, les totalités sont constituées dans et par la diversité et le dynamisme des processus de la vie réelle. C’est ce qui distingue les universaux abstraits de la logique formelle de la « totalité concrète du tout » qui anime la pensée dialectique. Le concept dialectique de totalité implique donc la compréhension d’un processus de totalisation qui unifie (sans les supprimer) les totalités partielles qui le constituent. La totalité sociale est ainsi saisie comme existant « dans et àtravers ces multiples médiations par lesquelles les complexes spécifiques – c’est-à-dire les ‘totalités partielles’ – sont liés les uns aux autres dans un complexe global dynamique, en perpétuel mouvement et changement » [36].
C’est à ce type de conception qu’aspire une théoricienne intersectionnelle comme Patricia Hill Collins, lorsqu’elle écrit que les systèmes d’oppression imbriqués doivent être compris comme « faisant partie d’un système unique, historiquement créé ». Hill Collins souligne à juste titre l’existence d’un système unitaire (« unique ») qui s’est développé au cours de l’histoire. Ce faisant, sa vision critique va au-delà de la métaphore spatiale qui limite la théorie intersectionnelle. Dialectisée, la démarche de Hill Collins ouvre la voie à une conception organique de la société en tant que système dynamique de relations sociales interconnectées (et donc co-constituantes). L’énigme de la théorie de l’intersectionnalité est que la cartographie des lieux, des vecteurs et des axes, ainsi que le cadre conceptuel atomistique qui en découle, ne se prêtent pas à ce type de théorisation dialectique.
Le rappel perspicace de Hill Collins, selon lequel les systèmes sociaux sont « historiquement créés » fait également référence à unaspect de la conception de la téléologie de Hegel qui est tout à fait crucial pour sa théorie – et tout à fait étranger aux formes de pensée empiristes et positivistes. Je me réfère ici à son concept de rétrodétermination, un concept qui est impensable par le biais du mécanisme ou du chimisme. En effet, la pensée non dialectique est dominée par une conception de la causalité qui s’articule autour de la succession temporelle : d’abord arrive une cause, puis ses effets. Mais la conception de la vie de Hegel va plus loin. Dans la vie, après tout, la pleine signification de ce que j’ai fait dans le passé ne portera ses fruits que dans le présent ou le futur. Si je plante des graines dans un jardin, ce que j’ai fait reste à voir. Peut-être que mon incapacité à entretenir ces semences ou le manque de pluieréduiront mes efforts à néant. Peut-être la guerre me chassera- t-elle de ma terre. Par ailleurs, toute une série d’actions ultérieures pourront me permettre de faire fructifier ces graines. Ce n’est qu’après coup que je pourrai dire que ma plantation a été un acte de création de cultures vivrières. De la même façon, la signification de mes relations et activités sociales passées est ouverte et modifiable. Une relation douloureuse dans l’enfance peut se transformer en quelque chose de tout à fait différent à l’âge adulte. Le sens de mon passé aurait donc été retravaillé rétroactivement. Pour prendre un exemple politique, le sens des activités des socialistes aujourd’hui est indéterminé. Si un avenir socialiste devait arriver un jour, cela donnerait un nouveau sens aux petites tâches, souvent ingrates, que nous avons accomplies dans le passé.
Compris en ces termes, nous pouvons dire que dans la vie, les fins déterminent les commencements – ou même qu’elles sont les commencements. Hegel écrit : « On peut dire de l’activité téléologique, que, en elle, la fin est le commencement, la conséquence le fondement, l’effet la cause, qu’elle est un devenir du devenu » [37]. C’est l’une des raisonspour lesquelles les débats abstraits du type « le racisme est-il nécessaire au capitalisme ? » sont résolument erronés. On ne peut passavoir ces choses à l’avance, sur la base de principes abstraits de la vie historique concrète. Ce que nous pouvons dire, c’est que le processus historique réel par lequel le capitalisme est apparu dans notre monde impliquait intégralement des relations sociales de race et de domination raciale. Du point de vue de « l’effet » – le capitalisme racialisé – nous pouvons dire définitivement que le racisme est une caractéristique nécessaire du capitalisme historique dans lequel nous vivons.
L’effet est donc devenu une cause et il est systématiquement reproduit dans et par la reproduction du mode de production capitaliste. Dans le « système unique, historiquement créé » (Hill Collins) dans lequel nous vivons, toutes ces relations de pouvoir social – de la domination sexuelle,raciale et de genre à l’exploitation capitaliste – forment un ensemble social complexe, dans lequel « chacun des moments individuels est essentiellement la totalité de l’ensemble ». Il me semble que c’est précisément ce que Bannerji entend lorsqu’elle affirme que « la”race” ne peut être désarticulée de la “classe”, pas plus que le lait ne peut être séparé du café une fois qu’ils sont mélangés, ou que le corps ne peut être dissocié de la conscience chez une personne vivante » [38]. Ces relations n’ont pas besoin d’être mises en intersection parce que chacune est déjà à l’intérieur de l’autre, se co-constituant jusqu’à leur cœur même. Plutôt que de nous trouver à des intersections, nous nous trouvons dans le fleuve de la vie, où de multiples ruisseaux et rivières ont convergé en un systèmecomplexe qui pulse.
Revisiter la théorie de la reproduction sociale avec le livre d’Angela Davis, Femmes, race et classe
Comme nous l’avons vu, le modèle téléologique de la vie de Hegel culmine dans le concept de reproduction. Il ne fait aucun doute que cette idée hégélienne est à la base du concept de reproduction (élargie) du capital de Marx. En tant que système organique, le mode de production capitaliste doit être capable de se reproduire dans le temps et dans l’espace. L’un des objectifs du Capital est de montrer les lois essentielles selon lesquelles il le fait, ainsi que les antagonismes, les conflits et les contradictions qu’elles engendrent.
À partir de la fin des années 1960, les chercheuses marxistes-féministes ont commencé à déployer une approche distincte de la façon dont les ménages de la classe ouvrière reproduisent la marchandise essentielle sur laquelle repose le capitalisme, à savoir la force de travail. Plutôt que de se concentrer exclusivement sur la reproduction du capital, elles ont interrogé celle de la classe ouvrière, en s’intéressant à la dynamique de genre par laquelle la reproduction quotidienne et générationnelle de la force de travail se produisait. Ce faisant, elles ont souligné la reproduction quotidienne et générationnelle du travail vivant, qui est une condition préalable essentielle à la reproduction continue du capital. Alors que certaines partisanes de cette approche – appelée théorie de la reproduction sociale ou féminisme de la reproduction sociale – tombaient dans un dualisme fondamental qui postulait des modes de production et de reproduction distincts (connu sous le nom de « théorie des systèmes duals »), les contributions les plus sophistiquées dans ce domaine recherchaient une conceptualisation unitaire dans laquelle ces modes étaient théorisés comme deux moments d’un processus social complexe et unifié [39]. Pourtant, malgré les idées puissantes générées par les approches de la reproduction sociale, la plupart des commentateurs n’ont pas réussi à intégrer les processus de racialisation dans leur analyse. La grande réussite de la théorie de l’intersectionnalité a été d’élargir le cadre de discussion – initialement à la race, au genre et à la classe, et plus récemment à d’autresrelations d’oppression, telles que celles de la sexualité et des aptitudes.
Pourtant, comme les approches dualistes, les théoriciennes de l’intersectionnalité tendent vers la méthode additive que nous avons décrite dans la première partie de cet article. Là où les dualistes additionnaient les relations de classe et de genre, les intersectionnalistes ajoutaient un troisième élément – la race – à ce mélange pour obtenir une image plus complexe de l’ensemble social. Des interventions ultérieures ont élargi le nombre de facteurs supplémentaires, au point que nous avons aujourd’hui des discussions sur les « seize vecteurs » de différence qui définissent l’être social. Cependant, il est rare que l’on ait tenté de réfléchir à toutes ces relations comme des parties co-constituantes de l’unité différenciée qui forme une totalité sociale concrète. Et lorsque le climat culturel postmoderne s’est installé – où la pluralité était célébrée et l’universalité condamnée – l’accent mis sur des régions ontologiquement autonomes (lieux, axes, vecteurs, etc.) de la vie sociale a prédominé, générant la fragmentation intellectuelle et la stratification du social déplorées par Bannerji.
Plus récemment, cependant, en tandem avec un renouveau plus large du matérialisme historique, des théoriciennes imaginatives ont entrepris de rénover la théorie de la reproduction sociale en mettant l’accent sur le travail social dans son sens le plus large, en tant qu’activité pratique humaine. En mettant l’accent sur les activités de travail incarnées dans des relations socio-spatiales concrètes, elles ont montré comment l’ensemble des pratiques qui reproduisent la vie sociale sont simultanément organisées par le biais de multiples relations de domination et de pouvoir, dont la race est l’élément central. Récemment, des travaux dans cette veine ont été développésdans les théories de la reproduction sociale de la reproduction mondiale de la force de travail, y compris de son organisationtransfrontalière [40].
Cette insistance renouvelée sur l’unité différenciée des activités pratiques par lesquelles les êtres humains se produisent et se reproduisent eux-mêmes, leurs relations sociales et leurs relations avec l’environnement naturel offre une base convaincante pour unethéorisation dialectique du type de celle que nous avons préconisée plus haut. Comme l’affirme Ferguson, « une telle théorie nous encourage à comprendre ces expériences stratifiées et contradictoires comme faisant partie d’un ensemble beaucoup plus large, dynamique et matérialiste de relations sociales – des relations créées, contestées et reproduites par notre travail à l’intérieur et à l’extérieur du foyer » [41]. Ce faisant, une telle approche théorique nous ramène à l’unité complexe des processus à multiples facettes mais reliés entre eux, par lesquels la vie est reproduite dans des formes sociales déterminées.
Je voudrais ici me risquer à une nouvelle affirmation. Je veux insister sur le fait que, en grande partie à cause de son orientation matérialiste historique et de l’importance primordiale qu’il accorde à l’interaction entre la production de valeur et la reproduction des êtres humains, l’ouvrage phare d’Angela Davis, Femmes, race et classe (1981), doit être considéré comme un texte de reproduction sociale au sens où je l’ai décrit. En proposant cela, je ne veux pas nier le statut que le texte de Davis a acquis dans la littérature de l’intersectionnalité. Mais je veux revaloriser son noyau matérialiste historique et son pouvoir en tant que classique du marxisme antiraciste et féministe, qui partage l’esprit des travaux les plus convaincants de la théorie de la reproduction sociale.
Le texte de Davis, après tout, fonde à plusieurs reprises les travaux des femmes noires – en tant que salariées et membres de foyers – dans l’organisation de leur vie. Davis souligne régulièrement la proportion beaucoup plus élevée de femmes noires employées comme salariées par rapport aux femmes blanches, et elle met en lumière leurs luttes sur leurs conditions d’emploi. Elle souligne surtout, que pour un grand nombre de femmes noires, le travail salarié est un travail domestique – pour d‘autres ménages, c’est-à-dire pour des familles blanches aisées – et qu’un nombre écrasant de femmes noires sont employées comme domestiques [42]. Elle démontre en outre l’unité complexe du racisme et du sexisme à l’égard des travailleuses noires, en particulier en ce qui concerne les agressions sexuelles sur le lieu de travail – ce qui montre le caractère totalement imbriqué du sexisme, du racisme et de l’exploitation de classe dans l’expérience des femmes noires de la classe ouvrière.
En même temps, elle souligne comment l’implication dans le travail, à la fois dans la période esclavagiste et post-esclavagiste, a conféré une indépendance particulière aux femmes noires au sein des ménages afro-américains [43]. Ce qui tient ensemble les différents éléments de cette analyse, c’est l’insistance du texte sur le fait que les relations sexuées et racialisées de la production et de la reproduction capitalistes donnent une unité primordiale à toutes ces dimensions de l’expérience sociale. En effet, dans un geste implicitement hégélien et marxiste, Davis insiste sur le fait que dans la situation états-unienne, « l’esclavage des Noirs dans le Sud, l’exploitation économique des travailleurs du Nord et l’oppression sociale des femmes » doivent être considérés comme « systématiquement liés » [44]..
Or, une relation systématique implique bien plus qu’une simple intersection. Les intersections peuvent être relativement aléatoires et désordonnées, ce qui n’est pas le cas des systèmes. Dans un système, toutes les parties sont ordonnées et intégrées selon des modalités déterminées par les autres composants. C’est pourquoi un système est toujours plus que la somme de ses parties. Il y a ici une inséparabilité dans laquelle le tout détermine les parties, même s’il est réciproquement déterminé par ses sous-unités à son tour. La formulation de Davis suggère fortement que l’esclavage des Noirs, l’oppression des femmes et l’exploitation économique du travail salarié constituent « un système unique, historiquement créé » (Hill Collins) aux États-Unis, une formation sociale capitaliste complexe et unifiée.
Vu sous cet angle, Femmes, race et classe apparaît comme un texte explicitement matérialiste historique qui cherche l’anatomie de la reproduction sociale d’un mode de production capitaliste raciste et dominé par les hommes aux États-Unis. En effet, il semble qu’il n’y ait pas d’autre moyen d’apprécier pleinement l’affirmation du texte selon laquelle, pour les femmes noireset les femmes de la classe ouvrière, la fin de l’oppression fondée sur le sexe ne peut signifier que la socialisation des tâches ménagères,dont la condition préalable est « la fin du règne de l’esprit de profit sur l’économie » [45]. En d’autres termes, l’oppression de genre est inextricablement intriquée (comme son dépassement) avec la structure capitaliste de l’économie, à tel point que, pour renverser l’une, il faut transformer l’autre. C’est bien sûr une autre façon de dire que, tout en étant des relations différenciées, elles constituent un système intégral.
Pour Davis, en d’autres termes, nous avons affaire à un mode de production et de reproduction capitaliste qui implique des relations d’oppression raciale et de genre historiquement spécifiques. Plutôt que d’énumérer des axes et des vecteurs discrets, elle montre les interrelations systématiques dans et à travers lesquelles la domination raciale et de genre est totalement imbriquée dans l’exploitation capitaliste – à tel point qu’elles ne peuvent légitimement être considérées comme séparables, même si elles restent analytiquement distinctes à un certain niveau d’abstraction approximatif et prêt à l’emploi. Par conséquent, les changements dans un sous-ensemble de relations présupposent des changements dans tous les autres et dans le système dans son ensemble.
Fut un temps, pendant l’ascension du néolibéralisme et l’épanouissement du moment postmoderne, où le discours sur la transformation du système était considéré comme désespérément moderniste. Mais ce moment sociopolitique s’est estompé face à un marasme économique mondial durable, à une ère d’austérité et à la résurgence de mouvements contre l’inégalité sociale capitaliste. Notre nouvelle conjoncture a donné lieu à une renaissance intellectuelle du matérialisme historique dans le contexte de nouvelles luttes anticapitalistes. Après tout, le caractère fondamentalement capitaliste de notre système mondial apparaît de façon spectaculaire ; les mouvements sociaux radicaux les plus inspirants posent le problème de la transformation du système plutôt que de son amélioration partielle [46].
Dans ce climat politico-intellectuel, il n’est pas surprenant que la théorie de la reproduction sociale d’inspiration marxiste ait resurgi de la même façon en réponse aux apories cruciales des approches intersectionnelles, tout en s’inspirant aussi des apports critiques sur les multiples formes d’oppression que cette dernière a fait progresser. Comme j’ai essayé de le montrer ici, pour être à la hauteur des tâches du moment, une théorie de la reproduction sociale reconstruite dialectiquement est vitale si nous voulons comprendre « l’unité de la diversité » qui est la forme de notre monde – et si nous voulons le changer.
* Cet article a été traduit par nos soins de l’original anglais, « Intersections and Dialectics : Critical Reconstructions in Social Reproduction Theory », in Tithi Bhattacharya, éd., Social Reproduction Theory. Remapping Class, Recentring Opression, Londres, Pluto Press, 2017, pp. 94-111. Les citations de Hegel et de Marx ont été reprises des traductions françaises citées.
NOTES
[1] G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l’esprit, traduit par Jean Hyppolite, Paris, Aubier Montaigne, 1941, tome I, p. 40.
[2] Kimberlé Crenshaw, « Mapping the Margins: Intersectionality, Identity Politics and Violence against Women of Color », présenté à la Conférence mondiale contre le racisme, Durban, Afrique du Sud, 2001. Il a été traduit en français sous le titre « Sortir des marges l’intersection de la race et du sexe », Les Cahiers du genre, 2021/1, n° 70, pp. 21-49. Il se fondait sur un autre texte, portant le même titre, publié par la Stanford Law Review 43 (1993), pp.1241-1299.
[3] Christine Bose, « Intersectionality and Global Gender Inequality », Gender and Society, 26 (1), 2012, pp. 67-72 ; Helma Lutz, « Intersectional Analysis : A Way Out of Multiple Dilemmas ? », présenté à l’International Sociological Association, Brisbane, juillet 2002 ; l’article de Bunch est présenté par Nira Yuval-Davis, « Intersectionality and Feminist Politics », European Journal of Women’s Studies 13 (3), 2006, p. 203.
[4] Patricia Hill Collins, Black Feminist Thought, Londres, HarperCollins, 1990, 276, 24-25. En français, voir Sirma Bilge et Ptricia Hill Collins, Intersectionnalité. Une introduction, Paris, Amsterdam, 2023. Introduction en ligne.
[5] Sherene Razack, Looking White People in the Eye : Gender, Race and Culture in Courtrooms and Classrooms, Toronto, University of Toronto Press, 1998, p. 13.
[6] Rita Kaur Dhamoon, « Considerations on Mainstreaming Intersectionality », Political Research Quarterly, 64 (1), 2011, p. 232.
[7] Floya Anthias, « Hierarchies of Social Location, Class and Intersectionality : Towards a Translocational Frame », International Sociology, 28 (1), 2012, p. 129.
[8] Yuval-Davis, « Intersectionality and Feminist Politics », pp. 195, 200-201.
[9] Isaac Newton, The Principia: Mathematical Principles of Natural Philosophy, traduit par I. Bernard Cohen et Anne Whitman Berkeley, University of California Press, 1999, p. 408.
[10] Voir David McNally, Political Economy and the Rise of Capitalism : A Reinterpretation, Berkeley, University of California Press, 1988, pp. 180-92.
[11] Daniel Bensaïd, Marx for Our Times, traduit par Gregory Elliot Londres, Verso, 2002, p. 301.
[12] Ludwig von Bertalanffy, General Systems Theory, Harmondsworth, UK, Penguin, 1973, pp. 198-99.
[13] Pour un exemple explicite, voir Richard Levins et Richard Lewontin, The Dialectical Biologist, Cambridge, MA, Harvard University Press, 1985.
[14] Anthias, « Hierarchies of Social Location », pp. 130, 133. Notons que l’idée de multiples strates sociales a été une réponse libérale-pluraliste aux théories critiques des classes sociales.
[15] G.W.F. Hegel, Science de la logique, traduit par Bernard Bourgeois, Paris, Librairie philosophique, 2015, pp. 193-201.
[16] Himani Bannerji, « Building from Marx : Reflections on Class and Race », Social Justice, 32 (4), 2005, p. 147.
[17] Hegel, Science de la logique, pp. 175-192.
[18] Ibid.
[19] Gabriele Winker et Nina Degele, « Intersectionality as Multi-Level Analysis : Dealing with Social Inequality », European Journal of Women’s Studies, 18 (1), 2011, p. 54.
[20] Sur les interconnectivités, coir Francisco Valdes, « Sex and Race in Queer Legal Culture : Ruminations on Identities and Inter-connectivities » in R. Delgado and J. Stefancic, éd., Critical Race Theory : The Cutting Edge, Philadephia, Temple University Press, 1995, pp. 334-39. Dhamoon (voir note 6) tend à une formulation plus dialectique, lorsqu’elle défend que « les procès de différenciation opèrent de façon dynamique l’un à travers l’autre et se valident mutuellement ». Mais son analyse revient régulièrement à un pluralisme libéral, peut-être, en partie, en raison de son intérêt pour l’« intersectionnalité mainstream », pour en faire une boîte à outil de la science sociale mainstream.
[21] Il est intéressant de noter que l’un des théoriciens les plus éloquents de cette vision a été le philosophe écossais David Hume, dont l’empirisme conventionnel reste la base d’une grande partie du pragmatisme et de certaines variantes de la théorie postmoderne.
[22] Cette quadruple explication de la causalité est bien sûr dérivée d’Aristote,La Métaphysique.
[23] C’est ici que les limites de l’horizon bourgeois de Hegel entrent en jeu, à la fois dans sa naturalisation du ménage hétérosexuel et dans son incapacité à transcender l’horizon de l’État-nation.
[24]Hegel, Phénoménologie de l’esprit, 224.
[25] Ibid., pp. 34, 31.
[26] Comme le souligne Susan Hahn, la priorité de la vie sur la pensée justifie l’introduction par Hegel de catégories ontologiques telles que la « vie », l’« organique », l’ « être » et le « devenir » dans sa Logique, d’une manière totalement étrangère à la logique formelle. Voir Hahn, Contradiction in Motion : Hegel’s Organic Concept of Life and Value, Ithaca, NY, Cornell University Press, 2007, pp. 62-63.
[27] Hegel, Phénoménologie de l’esprit, p. 34.
[28] Ibid., p. 45.
[29] Friedrich Engels, « Préface », in Karl Marx, Capital, vol. 2.
[30] « Marx conçoit les choses comme des relations » : voir Bertell Ollman, Alienation : Marx’s Conception of Man in Capitalist Society, Cambridge, Cambridge University Press, 1971, p. 27.
[31] Bannerji, « Building from Marx », p. 144.
[32] Bannerji, « But Who Speaks for Us ? » in Thinking Through : Essays on Feminism, Marxism and Anti-Racism, Toronto, Women’s Press, 1995, p. 83.
[33] Bannerji, « Building from Marx », p. 146.
[34] Hegel, Science de la logique, p. 219.
[35] Karl Marx, « Introduction de 1857 », in Manuscrits de 1857-1858 dits « Grundrisse », trad. J.-P. Lefebvre et alii, Paris, Éditions sociales, 2011, p. 57.
[36] István Mészáros, Lukács’ Concept of Dialectic, Londres, Merlin Press, 1972, p. 63.
[37] Hegel, Science de la logique, p. 218.
[38] Bannerji, « Building from Marx », p. 149.
[39] Voir, par exemple, Iris Young, « Beyond the Unhappy Marriage : A Critique of Dual Systems Theory », in Lydia Sargent, éd., Women and Revolution, Boston, South End Press, 1981, pp. 43-70 ; et spécialement, Lise Vogel, Le marxisme et l’oppression des femmes : Vers une théorie unitaire, Paris, éditions sociales, 2022.
[40] Voir Susan Ferguson, « Canadian Contributions to Social Reproduction Feminism, Race and Embodied », Race, Gender and Class, 15 (1-2), 2008, pp. 42-57 ; Susan Ferguson et David McNally, « Precarious Migrants : Gender, Race and the Social Reproduction of a Global Working Class », Socialist Register, 2015, Londres, Merlin Press, 2014.
[41] Ferguson, « Canadian Contributions », p. 45.
[42] Angela Davis, Women, Race and Class, New York, Vintage Books, 1983, pp. 5, 87-98, 129, 143-44, 224, 237-38 (traduit en français sous le titre Femmes, race et classe, Éditions des Femmes, Paris, 1983). Le livre de Davis converge avec les lignes d’analyse d’Evelyn Nakano Glenn, dans « Racial Ethnic Women’s Labor : The Intersection of Race, Gender and Class Oppression », Review of Radical Political Economics, 17 (3), 1985, pp. 86-108. En dépit de l’usage du terme intersection dans le titre, cet article opère aussi avec un pied dans une approche de reproduction sociale.
[43] Ibid., pp. 7-8, 18, 23, 91.
[44] Ibid., p. 66.
[45] Ibid., 243.
[46] Je dirais que cela est évident dans le programme social et politique développé en tandem avec le mouvement Black Lives Matter.