Que va-t-il se passer après la mondialisation ?

par | Juin 5, 2025 | Économie, Français, Histoire, Néolibéralisme, Théorie

Le monde tel que nous le connaissons est le produit de la mondialisation, et cette ère pourrait bien toucher à sa fin. Donald Trump est de retour au pouvoir, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas fan de la mondialisation. Le président a publiquement « rejeté le mondialisme et embrassé le patriotisme », affirmant que « cela n’a laissé à des millions et des millions de nos travailleurs que la pauvreté et le désespoir ». Pour mieux comprendre l’ère actuelle de la mondialisation à laquelle il tente de mettre fin et son bilan, il est utile de la comparer à la mondialisation qui s’est déroulée entre 1870 et le début de la Première Guerre mondiale.

Ces deux mondialisations représentent des périodes charnières, des années décisives qui ont façonné le monde d’aujourd’hui. Elles ont toutes deux connu la plus forte expansion de la production économique mondiale jamais enregistrée. Cependant, elles étaient également très différentes à bien des égards.

La Première mondialisation (1870-1914)

La Première mondialisation était associée au colonialisme et à la domination hégémonique de la Grande-Bretagne. Elle a entraîné une forte augmentation du revenu par habitant dans ce qui est devenu plus tard le monde développé. Dans le même temps, elle a entraîné une stagnation partout ailleurs, voire une baisse des revenus en Chine et en Afrique. Les chiffres les plus récents de la base de données statistiques historiques du Maddison Project montrent que l’augmentation cumulative du PIB réel (corrigé de l’inflation) par habitant au Royaume-Uni entre 1870 et 1910 a été de 35 %, tandis que le PIB par habitant a doublé aux États-Unis au cours de la même période. (La croissance réelle moyenne par habitant aux États-Unis était donc de 1,7 % par an, un chiffre très élevé pour l’époque). Le PIB par habitant de la Chine a toutefois diminué de 4 %, et celui de l’Inde n’a que légèrement augmenté – de 16 %. Ce type particulier de développement a donné naissance à ce qui a ensuite été appelé le tiers-monde et a renforcé les écarts de revenus moyens entre l’Occident et le reste du monde.

Du point de vue des inégalités mondiales, qui reflètent largement ces faits, la Première mondialisation a entraîné une augmentation des inégalités, les régions déjà riches ont connu une croissance plus rapide, tandis que les régions plus pauvres ont stagné, voire reculé. Outre l’augmentation des inégalités entre les nations, les inégalités se sont également accrues au sein de nombreuses économies riches, y compris aux États-Unis, comme le montre la courbe ascendante de la figure 1, les déciles les plus riches connaissant une croissance plus forte.

Le Royaume-Uni a constitué une exception, le pic des inégalités ayant été atteint juste avant le début de la Première mondialisation, dans les années 1860 et 1870. Dans les tableaux sociaux britanniques, principale source d’informations sur la répartition des revenus dans le passé, celui établi par Robert Dudley Baxter en 1867 (l’année de publication du Capital de Marx) marque l’année où les inégalités ont été les plus fortes au XIXe siècle. Les inégalités britanniques ont ensuite été réduites grâce à un certain nombre de lois progressistes, allant de la limitation de la durée du travail à l’interdiction du travail des enfants et à l’élargissement du droit de vote. Des données récentes montrent également une augmentation des inégalités en Allemagne après sa réunification, à la fin des années 1860.

François Bourguignon et Christian Morrisson, dont les chiffres figurent dans la figure 1, ne disposaient pas d’informations sur l’évolution des inégalités en Inde et en Chine, qui est donc représentée par une ligne droite sur les déciles des revenus (ce qui implique qu’elle a augmenté au même rythme pour tous). Les nouvelles données fiscales indiennes, axées sur le sommet de la distribution, produites par les économistes Facundo Alvaredo, Augustin Bergeron et Guilhem Cassan, montrent également des inégalités stables, bien que très élevées. Ainsi, d’une manière générale, les deux composantes de l’inégalité mondiale (entre les nations et, dans la plupart des cas, au sein des nations) ont augmenté pendant la Première mondialisation.

La Deuxième mondialisation (1989-2017/2025)

En quoi cela diffère-t-il de la mondialisation actuelle (Deuxième mondialisation), qui va généralement de la chute du mur de Berlin, en 1989, à la crise du COVID-19 en 2020 ? Il convient de noter que la date exacte de la fin de la Deuxième mondialisation peut faire l’objet de controverses ; on pourrait la fixer à l’imposition par Trump de droits de douane sur les importations chinoises, en 2017, ou même, de manière symbolique, à la deuxième accession au pouvoir de Trump, en janvier 2025. Mais la date choisie n’a pas d’incidence sur les caractéristiques essentielles de la Deuxième mondialisation.

Au cours de cette période, les États-Unis, le Royaume-Uni et le reste du monde riche ont connu une croissance, mais à des taux relativement modestes par rapport aux pays asiatiques. Entre 1990 et 2020, le PIB réel par habitant des États-Unis a augmenté à un taux annuel moyen de 1,4 % (soit un rythme plus lent que lors de la Première mondialisation) et le PIB par habitant du Royaume-Uni n’a progressé que de 1 % par an. Les pays peuplés et relativement pauvres (du moins, au début de la Deuxième mondialisation) ont connu une croissance beaucoup plus rapide : la Thaïlande avec 3,5 % par habitant, l’Inde avec 4,2 %, le Vietnam avec 5,5 % et la Chine avec un taux impressionnant de 8,5 %.

Le contraste est illustré par les figures 1 et 2. Dans la figure 1, qui présente les données pour la période 1870-1910, toutes les tranches de la distribution des revenus des pays riches ont augmenté plus rapidement que toutes les tranches de la distribution des revenus des pays pauvres. Dans la figure 2, qui présente les données pour la période 1988-2018, les taux de croissance de toutes les tranches de la distribution des revenus en Chine et en Inde dépassent ceux de toutes les tranches de la distribution des revenus aux États-Unis et au Royaume-Uni. Cela a totalement transformé l’économie et la géopolitique mondiales : premièrement, en déplaçant le centre de gravité économique vers le Pacifique et en affectant les positions relatives des populations occidentales et asiatiques en termes de revenus, et deuxièmement en faisant de la Chine un challenger crédible de l’hégémonie américaine.

Quelles différences ?

Il est indéniable qu’au cours des trois dernières décennies, les revenus mondiaux d’une grande partie des classes moyennes et populaires occidentales ont diminué. Ce phénomène a été particulièrement dramatique pour les pays occidentaux qui n’ont pas réussi à croître ; par exemple, le décile de revenu le plus bas de l’Italie a chuté du 73e au 55epercentile mondial entre 1988 et 2018 (en clair cela veut dire que les 10% des ménages italiens les plus pauvres ont aujourd’hui un revenu à peine supérieur au revenu mondial moyen). Aux États-Unis, les deux déciles inférieurs ont reculé dans le classement mondial, même si les baisses ont été moins importantes (respectivement de 7 et 4 points de pourcentage). En outre, les classes moyennes occidentales ont perdu du terrain par rapport à leurs compatriotes les plus riches. Les classes moyennes occidentales ont donc été doublement perdantes : face aux classes moyennes asiatiques en pleine expansion et face à leurs compatriotes beaucoup plus riches. Métaphoriquement, on peut les voir prises en étau entre les deux.

Mais, contrairement à ce qui s’est passé pendant la Première mondialisation, les inégalités mondiales ont diminué au cours de la Deuxième mondialisation, sous l’effet des taux de croissance élevés des grands pays asiatiques. Au sein des nations, cependant, les inégalités se sont généralement creusées. Cela a été particulièrement flagrant en Chine, où le coefficient de Gini, un indicateur courant des inégalités, a presque doublé à la suite des réformes libérales. Il en a été de même en Inde. La figure 2 montre que la croissance des revenus des Indien·nes et des Chinois·es riches a dépassé celle des pauvres de leur pays. Mais les inégalités ont également augmenté dans les pays développés, d’abord sous l’effet des réformes de Margaret Thatcher et Ronald Reagan, dont les effets se sont poursuivis même sous les administrations de Tony Blair et de Bill Clinton, pour finalement se stabiliser au cours de la deuxième décennie de ce siècle.

En résumé, la Première mondialisation a vu l’essor de l’Occident, la seconde celui de l’Asie ; la première a entraîné une augmentation des inégalités entre les pays, la seconde leur réduction. Les deux mondialisations ont eu tendance à accroître les inégalités au sein des nations. Les disparités entre les taux de croissance des pays pendant la Première mondialisation ont placé la plupart des populations occidentales au sommet de la pyramide mondiale des revenus. On reconnaît rarement à quel point, même les déciles pauvres des pays riches étaient bien placés dans la répartition mondiale des revenus. L’économiste Paul Collier, dans son ouvrage Future of Capitalism, évoque avec nostalgie l’époque où les travailleurs anglais étaient au sommet du monde. Mais pour qu’ils se sentent bien, il fallait que quelqu’un d’autre se sente mal.

La Deuxième mondialisation a fait tomber une partie de la classe moyenne occidentale de son piédestal et a entraîné une grande reconfiguration de ses revenus, qui ont été dépassés par ceux d’une Asie en plein essor. Ce déclin relativement imperceptible s’est produit en même temps que celui, beaucoup plus perceptible, de la classe moyenne occidentale par rapport à ses propres élites nationales. Il a provoqué un mécontentement politique qui s’est traduit par la montée en puissance de dirigeants et de partis populistes.

Enfin, il convient de noter que la convergence des revenus mondiaux ne s’est pas étendue à l’Afrique, qui a poursuivi son déclin relatif. Si cette situation ne change pas – et la probabilité d’un tel changement semble faible –, le déclin relatif de l’Afrique renversera, dans les décennies à venir, les forces qui contribuent actuellement à réduire les inégalités mondiales et marquera le début d’une nouvelle ère d’inégalités mondiales croissantes.

Une coalition d’intérêts improbable

Ce qui n’avait peut-être pas été remarqué au début de la Deuxième mondialisation, mais qui est devenu de plus en plus évident au fur et à mesure de son déroulement, c’est la convergence d’intérêts entre les régions les plus riches du monde occidental et les masses pauvres du Sud. À première vue, ce lien semble bizarre, car ces deux groupes n’ont presque rien en commun, qu’il s’agisse de l’éducation, du milieu social ou des revenus. Mais il s’agissait d’une alliance tacite, dont aucune des deux parties n’avait pleinement conscience jusqu’à ce qu’elle devienne flagrante. La mondialisation a renforcé le pouvoir des riches dans les pays développés grâce à des changements dans leur structure économique interne : réduction des impôts, déréglementation et privatisations, mais aussi possibilité de délocaliser la production vers des pays où les salaires étaient beaucoup plus bas.

Le remplacement de la main-d’œuvre nationale par une main-d’œuvre étrangère bon marché a considérablement enrichi les détenteurs de capitaux et les entrepreneurs du Nord. Cela a également permis aux travailleurs du Sud d’obtenir des emplois mieux rémunérés et d’échapper au sous-emploi chronique. Les perdants dans tout cela ont été les travailleurs de la classe moyenne, remplacés par une main-d’œuvre beaucoup moins chère provenant du Sud. Il n’est donc pas surprenant que le Nord se soit désindustrialisé, non seulement en raison de l’automatisation et de l’importance croissante des services dans la production nationale globale, mais aussi parce que de nombreuses activités industrielles ont été délocalisées vers des pays où elles pouvaient être réalisées à moindre coût. Il n’est pas étonnant que l’Asie orientale soit devenue le nouvel atelier du monde.

Cette coalition particulière d’intérêts a été négligée dans la réflexion initiale sur la mondialisation. En fait, on pensait que la mondialisation serait néfaste pour les grandes masses laborieuses du Sud, qui seraient encore plus exploitées qu’auparavant. Beaucoup ont peut-être commis cette erreur en se basant sur les développements de la Première mondialisation, qui a effectivement conduit à la désindustrialisation de l’Inde et à l’appauvrissement des populations chinoises et africaines. À cette époque, la Chine était pratiquement gouvernée par des marchands étrangers, et en Afrique, les agriculteurs avaient perdu le contrôle de leurs terres, qu’ils cultivaient en commun depuis des temps immémoriaux. Le fait de ne plus posséder de terres les a rendus encore plus pauvres. La Première mondialisation a donc eu un effet très négatif sur la plupart des pays du Sud. Mais cela n’a pas été le cas lors de la Deuxième mondialisation, qui a vu l’amélioration des salaires et de l’emploi dans une grande partie du Sud.

Bien sûr, il est également vrai que la durée de la journée de travail et les conditions de travail dans les pays du Sud étaient souvent très difficiles et restaient bien pires que celles des travailleurs du Nord. Les plaintes des travailleurs concernant l’horaire 996 (travailler de 9 heures à 21 heures, six jours par semaine) ne sont pas propres à la Chine : c’est une réalité dans une grande partie du monde en développement. Mais ces mauvaises conditions représentaient une amélioration par rapport à ce qui existait auparavant et était accepté comme tel.

Même si les détracteurs contemporains de la Deuxième mondialisation avaient tort de penser qu’elle détériorerait la situation économique des larges masses du Sud – au contraire, comme nous l’avons vu, elle a nui aux classes moyennes du Nord –, ils avaient raison à propos de ceux qui profiteraient le plus de ces changements : les riches du monde entier.

Lorsqu’on parle de néolibéralisme, il est important de faire une distinction analytique entre, d’une part, les politiques néolibérales nationales et, d’autre part, les politiques néolibérales internationales. La première catégorie comprend l’ensemble habituel de mesures telles que la réduction des taux d’imposition, la déréglementation, la privatisation et un repli général de l’État. La seconde consiste en la réduction des droits de douane et des restrictions quantitatives, et donc en la promotion du libre-échange en général, ainsi que des taux de change flexibles et de la libre circulation des capitaux, des technologies, des biens et des services. Le travail a toujours été traité différemment – sa circulation n’a jamais été aussi libre que celle des capitaux, même si sa mobilité mondiale était l’une des aspirations du néolibéralisme.

« Les perdants dans tout cela ont été les travailleurs de la classe moyenne qui ont été remplacés par une main-d’œuvre beaucoup moins chère provenant des pays du Sud. »

Comprendre le modèle chinois

Cette distinction analytique est particulièrement importante pour comprendre la Chine et pour déterminer ce qui va se passer sous le second mandat de Trump. Elle montre clairement que la Chine n’a pas suivi les préceptes du néolibéralisme dans ses politiques intérieures, alors qu’elle les a largement suivis dans ses relations économiques internationales. Cela différencie la Chine de nombreux autres pays développés et en développement qui ont pris très au sérieux les aspects nationaux et internationaux de la mondialisation. À partir des années 1980, les États-Unis ont amorcé le virage néolibéral, qui ne s’est pas limité aux politiques nationales, mais a également englobé une réduction des droits de douane, la création de l’ALENA et une augmentation des investissements étrangers entrants et sortants. Il en a été de même pour l’Union européenne. Cela a également été le cas pour la Russie et les anciens pays communistes.

La Chine était le seul grand pays à résister. Elle était la seule à maintenir un rôle important de l’État, qui restait l’acteur prépondérant dans le secteur financier et dans des industries clés telles que la sidérurgie, l’électricité, la construction automobile et les infrastructures en général. Plus important encore, l’État restait puissant dans l’élaboration des politiques et conservait ce que Lénine appelait les « positions dominantes de l’économie ». Ces politiques chinoises, en particulier sous Xi Jinping, peuvent être comprises comme quelque chose qui s’apparente à la nouvelle politique économique de Lénine. Sous ce régime, l’État laisse le secteur capitaliste se développer dans les secteurs moins importants. Mais, il conserve le contrôle des secteurs les plus importants de l’économie et prend les décisions clés en matière de développement technologique. L’État chinois s’est fortement impliqué dans le développement des technologies les plus avancées d’aujourd’hui, notamment les technologies vertes, les voitures électriques, l’exploration spatiale et, plus récemment, l’intelligence artificielle et l’avionique.

Cette implication va de simples incitations sous forme de réductions d’impôts à des pressions plus directes, où les entreprises privées se voient dicter leur conduite si elles veulent rester en bons termes avec le gouvernement. Un exemple flagrant de la différence de pouvoir entre l’État et le secteur privé s’est manifesté en 2020, lorsque le gouvernement a annulé ce qui aurait été la plus grande introduction en bourse de l’histoire, celle de l’Ant Group de Jack Ma, une filiale d’Alibaba, qui lui aurait permis de se développer dans le secteur largement non réglementé des technologies financières.

Ainsi, lorsque nous parlons du succès de la mondialisation dans la réduction de la pauvreté et la croissance économique dans de nombreux pays asiatiques, en particulier en Chine, il convient de garder à l’esprit la distinction entre les politiques nationales et internationales. On pourrait soutenir que le succès de la Chine tient précisément à sa capacité à combiner ces deux aspects d’une manière unique, qui lui a permis de conserver en grande partie son pouvoir au niveau national tout en tirant pleinement parti des avantages du commerce pour mettre en valeur ses atouts. Cette stratégie particulière pourrait également fonctionner pour d’autres grands pays comme l’Inde ou l’Indonésie. Mais elle présente des limites évidentes pour les petits pays, qui ne bénéficient pas d’économies d’échelle et, surtout, ne disposent pas du pouvoir de négociation vis-à-vis des capitaux étrangers qui a permis à la Chine de bénéficier d’importants transferts de technologies provenant des pays plus développés.

Trump sonne le glas de la Deuxième mondialisation

La vague internationale de mondialisation qui a débuté il y a plus de trente ans touche à sa fin. Ces dernières années ont été marquées par une augmentation des droits de douane imposée par les États-Unis et l’Union européenne, la création de blocs commerciaux, de fortes restrictions sur les transferts de technologies vers la Chine, la Russie, l’Iran et d’autres pays « hostiles », le recours à la coercition économique, notamment sous forme d’embargos et de sanctions financières, des restrictions sévères en matière d’immigration et, enfin, des politiques industrielles impliquant une subvention implicite des producteurs nationaux. Si ces écarts par rapport au régime commercial néolibéral orthodoxe sont adoptés par les principaux acteurs, à savoir les États-Unis et l’Union européenne, les organisations transnationales telles que le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ne pourront plus continuer à prêcher les préceptes habituels de la politique de Washington au reste du monde. Nous entrons donc dans un nouveau monde caractérisé par des politiques commerciales et économiques extérieures spécifiques à chaque nation et à chaque région, qui s’éloigne de l’universalisme et de l’internationalisme pour s’orienter vers le néomercantilisme.

Trump correspond presque parfaitement à ce modèle. Il aime le mercantilisme et considère la politique économique étrangère comme un outil permettant d’obtenir toutes sortes de concessions, parfois sans aucun rapport avec l’économie proprement dite, comme sa menace d’imposer des droits de douane au Danemark s’il refuse de renoncer au Groenland. Il s’agit peut-être de simples fanfaronnades. Mais cela montre bien que Trump considère que les menaces économiques et la coercition doivent être utilisées comme des outils politiques. De telles politiques ne feront que fragmenter davantage l’espace économique mondial. L’objectif de Washington est de ralentir l’ascension de la Chine et de réduire la capacité de l’État chinois à développer de nouvelles technologies pouvant être utilisées à des fins non seulement économiques, mais aussi militaires.

Cependant, d’un autre côté, la partie nationale du programme néolibéral standard ne fera que se renforcer sous Trump. Cela apparaît déjà clairement dans son intention de réduire l’impôt sur le revenu des particuliers, de déréglementer pratiquement tout, d’autoriser une exploitation beaucoup plus intensive des ressources naturelles et de pousser plus loin la privatisation des fonctions publiques, renforçant ainsi tous les principes nationaux du néolibéralisme. Nous nous retrouverions alors dans une situation contradictoire en apparence seulement : un mercantilisme accru à l’échelle internationale et un néolibéralisme accru à l’échelle nationale, c’est-à-dire exactement le contraire de la politique chinoise.

Certains économistes, citant des exemples historiques, estiment que les politiques mercantilistes doivent nécessairement s’accompagner de politiques de contrôle et de réglementation accrus de l’État au niveau national. Mais ce n’est certainement pas le cas de l’administration actuelle. La nouvelle combinaison promue par Trump – une immigration étroitement contrôlée associée à un néolibéralisme intérieur extrême et au mercantilisme à l’étranger – devrait également séduire de nombreux Français, Italiens et Allemands.

Le monde entre ainsi dans une nouvelle ère où les pays riches suivront une politique inhabituelle à deux volets. Après avoir abandonné la mondialisation néolibérale, ils poursuivront désormais avec encore plus de détermination leur projet de néolibéralisme national.

* Traduit de l’anglais par nos soins de « What comes after globalization ? », Jacobin, 24 mars 2025. Branko Milanovic est économiste et professeur invité au Graduate Center de The City University of New York (CUNY).

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